“vous n’êtes plus seul.e.s, on vous croit”.
Le 21 septembre 2021, la CIIVISE ouvrait son appel à témoignages.
Le 21 septembre 2023, il n’y a aucune certitude sur la poursuite de cette mission.
Qui comprend vraiment à quel point, pour les victimes de violences sexuelles dans leur enfance,
être écoutées, crues, respectées répond à un besoin vital ?
Bien sûr, les chiffres publiés par la CIIVISE ont circulé dans le débat public.
27 000. Les témoignages recueillis.
160 000. Le nombre d’enfants victimes de violences sexuelles chaque année.
9,7 milliards d’euros. Le coût du déni.
La diffusion de ces chiffres, et d’autres, est déjà un motif de satisfaction. Mais c’est insuffisant.
Il est vain de regretter que 160 000 enfants soient violés ou agressés chaque année si les
politiques publiques ne sont pas réorientées réellement vers leur protection : il faut repérer les
enfants victimes et les mettre en sécurité.
Il est vain de regretter la perte annuelle des milliards d’euros causée par les agresseurs si les
politiques publiques ne sont pas orientées réellement vers la mise en œuvre des soins spécialisés
du psychotraumatisme dont les victimes ont besoin.
Il est vain de valoriser le courage des victimes qui témoignent si leur parole n’est pas prise au
sérieux, ni leur souffrance prise en considération. Car cette souffrance est immense. Le viol est une
torture. C’est aussi une trahison. Une perversion. La stratégie de l’agresseur et la complicité
passive du groupe qui le soutient (de la famille à la société tout entière) isolent l’enfant victime
dans un silence si bruyant qui peut durer une vie entière.
Comment se représenter les émotions qui traversent les victimes de violences sexuelles devant
des documentaires, des téléfilms, des interviews, des campagnes d’information qui parlent de ce
que chacune d’elle a vécu, de ces violences qui ont marqué une rupture définitive dans leur
existence ? Avant le viol. Après le viol. Plusieurs d’entre elles nous ont dit : « Qui aurais-je été s’il ne
m’avait pas violée ? ».
Ce bilan de deux années de recueil de la parole des victimes d’inceste et de toutes les violences
sexuelles subies dans l’enfance intervient dans un moment où – comme lors de la publication de la
Familia Grande par Camille Kouchner, en janvier 2021 –, la société dans son ensemble et les
pouvoirs publics sont saisis par la publication de témoignages qu’il est impossible de passer sous
silence.
Un silence si bruyant. Dimanche 24 septembre, chacun pourra écouter et voir la dignité, la liberté, le
courage d’Emmanuelle Béart mais aussi de Pascale, Joachim, Norma et Sarah.
Un silence si bruyant. Celui du secret qui étouffe la voix de cette petite fille victime de violences
sexuelles que l’on voit dans la campagne de sensibilisation, qui était l’une des premières
préconisations de la CIIVISE, dès mars 2022. Empêcher l’enfant victime de parler. C’est l’une des
armes des pédocriminels pour assurer leur impunité.
Un silence si bruyant. C’est celui des flash-back traumatiques qui assaillent les victimes par
surprise et qui font revivre les viols et les agressions sexuelles à nouveau. « N’y pense plus ». Facile
à dire.
Un silence si bruyant. C’est celui dans lequel on est enfermé à force de se croire folle ou fou parce
que personne ne comprend les conduites d’évitement, les reviviscences, la dissociation,
l’hypervigilance, les douleurs inexpliquées.
La pédocriminalité, ce n’est pas un face-à-face entre un agresseur et une victime. Bien sûr, c’est ce
face-à-face qui résulte du choix de l’agresseur de prendre possession du corps de l’enfant pour lui
dire « tu m’appartiens ». La violence, c’est toujours un choix. Et puisque c’est un choix, il est
toujours possible de ne pas être violent. De renoncer au pouvoir.
Mais ce n’est pas que ce face-à-face. Il y a toujours un tiers. Il faut toujours un tiers. Pour remettre
la loi à sa place et redonner la primauté au langage que la violence a écrasé. Une mère, un
professeur, une éducatrice, une psychologue, un oncle. Un point fixe. Une écoute inconditionnelle.
Une voix qui libère de l’enfermement dans le silence et la solitude.
La CIIVISE n’est rien d’autre que cela : le point fixe, le lieu de l’écoute inconditionnelle, de la
nomination des mots de la violence – « viol », « agression sexuelle », « inceste » ; le lieu du rappel
intransigeant de la loi pour contrecarrer la stratégie de l’agresseur qui inverse la culpabilité pour
enfermer l’enfant dans le silence une vie durant.
Le point fixe comme une vigie qui porte la parole des victimes sans relâche pour gagner du terrain
sur le déni.
Qui peut sérieusement penser que trois années suffiraient pour lutter contre un déni qui nous
habite tous depuis toujours ?
Le point fixe, qui respecte la parole des victimes jusque dans nos préconisations de politiques
publiques, sans concession.
Nous sommes tous sommés de répondre à cette question : « Qui voulons-nous protéger ? ».
La CIIVISE a donné sa réponse : les enfants.
Sommaire
Partie 1. Un besoin prioritaire : le soutien social de l’enfant victime dès la révélation des violences
1. « Pourquoi avez-vous attendu si longtemps pour parler ? »
2. L‘impact durable de la qualité du soutien social
« Je te crois, je te protège »
« Je te crois mais »
« Tu mens »
Partie 2. Un besoin ignoré : les victimes laissées sans soutien social
1. « Et vous, pourquoi ne m‘avez-vous pas aidé ? »
Le plus souvent, l’enfant est cru mais n’est pas protégé
Même s’il est protégé, la gravité des violences est minimisée
2. Lorsque les adultes sont protecteurs, il est impératif de les protéger
Partie 3. Une promesse tenue : la CIIVISE, un soutien social inconditionnel
1. « Vous répondez à quelque chose que j’espérais tellement enfant »
2. La protection des enfants n’attend pas : la politique publique façonnée par la CIIVISE
Partie 1. Un besoin prioritaire : le soutien social de
l’enfant victime dès la révélation des violences
Désormais, nul ne peut ignorer l’ampleur des violences sexuelles faites aux enfants, tout
particulièrement dans la maison familiale : l’inceste. L’ampleur, c’est le nombre – 160 000 enfants
victimes de violences sexuelles chaque année, répétons-le toujours – et c’est aussi la gravité.
Dans l’avis du 12 juin 2023, « Le coût du déni », la CIIVISE a mis en évidence à quel point les viols et
les agressions sexuelles avaient un impact extrême sur les victimes. La CIIVISE a donc préconisé
la mise en œuvre d’un parcours de soins spécialisés du psychotraumatisme. Ces soins existent
mais ne sont pas dispensés.
Depuis sa création, la CIIVISE le répète incessamment – le soin apporté aux victimes de violences
sexuelles implique une réponse cohérente et globale : non seulement les soins nécessitent que
l’enfant soit mis en sécurité car « on ne soigne pas l’agneau tant qu’il est encore dans la gueule du
loup » mais également une réponse judiciaire qui remette la loi à sa place.
C’est pourquoi l’attitude du « monde des adultes » au moment de la révélation par l’enfant des
violences qu’il subit est si déterminante.
« C’est pendant ma séance de psy qu’un jour elle m’a dit : «Vous savez que ce n’est pas normal ce
qui se passe, les gestes qu’il a envers vous ne sont pas normaux». Elle a juste dit ça. Cette phrase a
changé tout ce que je pensais dans ma tête parce que je me suis dit «Oui. C’est vrai». » Mme V.
La qualité du soutien social a un effet déterminant non seulement sur l’enfant au moment où il
révèle les violences mais aussi sur le développement des troubles post-traumatiques tout au long
de sa vie (Sadlier, 2015 : Brewin, Andrews, & Valentine, 2000 ; Ozer, Best, Lipsey & Weiss, 2003).
L’analyse des témoignages confiés à la CIIVISE confirme l’importance de la réponse de la personne
à qui l’enfant se confie. Malheureusement, elle met en évidence que, le plus souvent, cette réponse
n’est pas protectrice.
« Pourquoi avez-vous attendu si longtemps pour
parler ? »
Il faut faire un effort sur soi-même pour se représenter le monde intérieur d’une petite fille, d’un
petit garçon, ou des adolescents victimes de violences sexuelles, soumis au pouvoir d’un proche,
qu’il s’agisse d’un membre de la famille ou de tout autre adulte de son entourage. L’enfant est
habité par la peur, la honte, la culpabilité et est dans l’incompréhension de ce qu’il vit. Les menaces
et les paroles de l’agresseur – « c’est normal », « c’est parce que c’est toi », « n’en parle pas » –
isolent et enferment l’enfant.
C’est pourquoi la sortie du silence est longue : c’est le plus souvent après la majorité et une fois
qu’ils sont en sécurité que les enfants dénoncent enfin les viols et les agressions sexuelles qu’ils
ont subis.
Les témoignages confiés à la CIIVISE montrent en effet qu’à peine plus d’une victime sur 10 a
révélé les violences au moment des faits (13%) ; elles sont en revanche près de 6 sur 10 à avoir
révélé les violences plus de 10 ans après, à l’âge adulte (58,5%).
Plus l’enfant est proche de l’agresseur, plus il révèle les violences tardivement.
Les victimes de violences sexuelles incestueuses révèlent les violences plus tardivement que les
autres victimes : moins d’une sur 10 révèle les violences au moment des faits (9% ; 12% des
victimes au sein de l’entourage ; 40% au sein de l’espace public) ; plus de 6 sur 10 révèlent les
violences plus de 10 ans après (62% ; 56% des victimes au sein de l’entourage ; 29% au sein de
l’espace public).
« Pourquoi avez-vous attendu si longtemps pour en parler ? » Nombreuses sont les victimes qui se
sont heurtées à cette question, qui exprime l’incompréhension, peut-être même l’indifférence, de la
personne qui la pose. En réalité, la question est mal posée car ce n’est pas à la victime d’y
répondre. C’est aux tiers, aux proches, aux professionnels, aux institutions.
La question est : « pourquoi attendons-nous si longtemps pour autoriser les victimes à parler ? ».
Révéler les violences, c’est avant tout prendre un risque. Un enfant ne peut le surmonter qu’à deux
conditions : la première est la certitude que la personne à qui il révèle les violences sexuelles est
capable de se représenter ce qu’il vit ; la seconde est la certitude qu’il sera mis en sécurité.
Ces deux certitudes ne peuvent être acquises que si le « monde des adultes » – composé d’abord
de son entourage familial le plus proche et plus généralement des adultes qu’il côtoie dans les
institutions telles que l’école, l’hôpital, le tribunal, le commissariat ou le foyer – , décide enfin de
croire l’enfant qui révèle des violences sexuelles.
Parce qu’il est extrêmement vulnérable, l’enfant qui révèle des violences et qui perçoit dans le
regard ou l’attitude de l’adulte qui l’écoute qu’il n’est pas cru, risque un effondrement psychique.
« Pour que la parole soit possible, il faut que ce qui va être fait de la parole après soit clair. Je pense
que ce qui m’aurait rassurée, c’est qu’on me dise bien que la parole sert à ce que les personnes
responsables, donc les adultes, se saisissent du problème. » Mme A.
Les témoignages confiés à la CIIVISE mettent en évidence que les premiers confidents de l’enfant
sont presque exclusivement les membres de sa famille les plus proches.
Près d’un enfant sur 4 s’est confié à sa fratrie au sujet des violences (23%), et/ou à leur père dans
un cas sur 5 (19%), notamment lorsqu’il s’agit d’une révélation aux deux parents conjointement.
Mais, le plus fréquemment, c’est la mère qui est dépositaire de la révélation
La première confidente de l’enfant est ainsi la mère dans plus de 6 cas sur 10 (66%) ; c’est encore
davantage le cas lorsque les violences ont lieu au sein de la sphère familiale (71%).
Ces chiffres rejoignent l’expérience la plus commune. Quand un enfant souffre, est blessé, violé, il
va d’abord le dire à sa mère. C’est le mouvement naturel de l’enfant que d’appeler sa mère pour
recevoir de la sécurité.
Au-delà de la première révélation et donc de la réponse du premier confident, la sécurité qui doit
être procurée à l’enfant victime dépend de l’attitude de toutes les personnes et des institutions qui
interviendront après la révélation, et garantiront la cohérence et la fiabilité des mesures de
protection.
La nature de cette réponse définit le type de soutien social reçu par l’enfant ; sa qualité a un impact
déterminant, y compris à l’âge adulte. Ce soutien social sera dit « positif », « négatif » ou « absent ».
L‘impact durable de la qualité du soutien social
On entend par soutien social « positif » les comportements adaptés et rassurants des proches des
victimes de violences sexuelles, comme le fait d’être à l’écoute, de poser des questions, de
protéger : « je te crois, je te protège ». Le soutien « négatif » renvoie aux comportements tels
qu’inverser la culpabilité, éviter le sujet, ramener l’attention sur soi : « je te crois mais ». L’absence
de soutien, c’est le rejet de la parole de l’enfant : « tu mens ». Il importe de faire la distinction entre
manque ou absence de soutien positif et soutien négatif, puisque l’un et l’autre n’entraîneront pas
les mêmes conséquences pour les victimes (Barrera, 1986 ; King et al., 1999 ; Ullman, 1999).
Lorsque le confident a protégé l’enfant, 1 victime sur 5 n’a développé aucun comportement à risque
(20%).
La qualité du soutien social a également un impact sur les symptômes physiques observés chez
les victimes : celles qui ont la possibilité de se confier à quelques proches ou membres de la
famille manifestent moins de symptômes somatiques de stress – maux de dos et de tête, nausées,
palpitations, problèmes de peau (Kimerling et Calhoun, 1994).
L’analyse des témoignages reçus par la CIIVISE vient confirmer cet impact positif du soutien
social.
Plus de 6 victimes sur 10 qui ont été protégées ne rapportent pas d’impact des violences sur leur
santé physique (62%) ; c’est le cas de 4 victimes sur 10 seulement lorsque le confident ne les a
pas crues (42%).
La honte et la culpabilité habitent fréquemment les victimes de violences sexuelles. C’est pourquoi
les propos et comportements des proches et professionnels en réaction à la révélation des faits
peuvent avoir un impact durable. Lorsque la réaction est culpabilisante, les victimes rapportent une
plus faible estime de soi (Filipas et Ullman, 2001).
« Je te crois, je te protège »
« Je te crois mais »
Les témoignages confiés à la CIIVISE le confirment.
« Je t’avais dit de te méfier de lui » ; « Tu te rends compte ? Tu vas envoyer ton frère en prison » ;
« C’est ta faute, tu es un enfant à un problème » ; « Tu l’as un peu cherché » …
Lorsque le confident croit l’enfant mais inverse la culpabilité et rejette la faute sur lui, les victimes
développent davantage de comportements liés à une mauvaise estime de soi, principalement des
comportements d’autodestruction.
Plus d’une victime sur 2 développe des troubles alimentaires (56%) – ce n’est le cas que de 4
victimes sur 10 qui ont été protégées (41%).
« Je n’ai jamais aimé mon corps. J’ai toujours détesté mon corps. Je l’ai maltraité. J’avais besoin de
combler en mangeant. Cette culpabilité m’a fait prendre du poids. Elle a déformé mon corps. » Mme
P.
Près de 4 victimes sur 10 développent des addictions (drogue, médicament, alcool – 39%) – ce
n’est le cas que d’1 victime sur 4 qui ont été protégées (24%).
« Je buvais et j’ai fumé parce que ça me permettait de sortir de mon corps, de ne pas sentir la
douleur. » M. G.
13% développent des conduites prostitutionnelles – ce n’est le cas que de 7% des victimes qui ont
été protégées.
« Je suis rentré dans une phase de sexualité destructrice, de mise en danger perpétuelle et de
recherche de cette mise en danger au travers des relations. » M. H.
L’impact du soutien social négatif peut également se traduire par le développement de pathologies
« inexpliquées » non seulement liées à une mauvaise estime de soi mais aussi à un rapport au
corps détérioré.
Près de 4 victimes sur 10 rapportent avoir développé des problèmes gynécologiques (39%) – ce
n’est le cas que de 2 victimes sur 10 qui ont été protégées (20%).
Une attitude inadaptée des confidents renforce le sentiment de culpabilité des victimes et fragilise
la confiance qu’elles peuvent dès l’enfance, et qu’elles pourront à l’âge adulte, accorder à leur
entourage proche ou élargi. Ainsi, plus le sentiment de culpabilité est élevé, plus les victimes
s’isolent, moins elles font appel à leurs proches pour les soutenir dans leur détresse (Filipas et
Ullman, 2001).
Lorsque le confident croit l’enfant mais inverse la culpabilité et rejette la faute sur lui, plus de ¾
des victimes rapportent un impact négatif sur leur vie sociale (77%).
Ce n’est le cas que de moins d’une victime sur 2 qui a été protégée (46%).
Les témoignages confiés à la CIIVISE conduisent enfin à relier la revictimation à la qualité du
soutien social. La revictimation désigne l’expérience de nouvelles violences par une personne qui
en a déjà subies.
Il ressort en effet des témoignages qu’il y a une surreprésentation des femmes victimes de
violences conjugales à l’âge adulte parmi les victimes de violences sexuelles dans l’enfance.
En population générale, 15,9% des femmes sont victimes de violences conjugales (SSMSI,
enquête Genese 2021).
Or, 31% des femmes qui ont témoigné à la CIIVISE sont ou ont été victimes de violences
conjugales à l’âge adulte. Le fait d’avoir été victime de violences sexuelles dans son enfance
augmente donc par 2 le risque d’être victime de violences conjugales au cours de sa vie.
Et 52% des femmes qui ont témoigné à la CIIVISE et qui ont reçu un soutien social négatif sont ou
ont été victimes de violences conjugales à l’âge adulte. Le fait d’avoir reçu un soutien social
négatif accroissant le sentiment de culpabilité augmente donc par 3,5 le risque d’être victime de
violences conjugales au cours de sa vie.
Ainsi, lorsque les victimes se heurtent au doute ou à l’incrédulité, elles développent davantage de
comportements à risque dirigés contre les autres, qui traduisent une opposition à la loi.
15% des victimes qui n’ont pas été crues rapportent des actes de délinquance – c’est le cas de 8%
des victimes qui ont été protégées : c’est deux fois plus.
« J’étais dans la haine, dans la haine que j’avais de moi-même, dans la haine que j’avais de mes
parents et que je rejetais sur la société. » Mme V.
« Tu mens »
Le passage à l’acte sexuel de l’agresseur est une violence sexuelle évidemment mais aussi une
violence physique et psychologique. C’est toujours une perversion du besoin de sécurité de
l’enfant. C’est toujours une trahison. Le monde s’effondre. La loi n’a pas tenu.
Un enfant qui révèle des violences et qui perçoit dans une parole, un regard ou une attitude qu’il
n’est pas cru risque, répétons-le, un effondrement psychique. S’il n’est pas protégé immédiatement,
il perd confiance dans le « monde des adultes ».
L’absence de soutien social accompagne l’effondrement intérieur suscité par l’agresseur. On peut
dire qu’il valide la défiance à l’égard du monde social et l’inconsistance de la loi.
Partie 2. Un besoin ignoré : les victimes laissées
sans soutien social
Les témoignages confiés en si grand nombre à la CIIVISE par les victimes de violences sexuelles
dans l’enfance et notamment d’inceste ont une importance majeure pour comprendre les enjeux de
politique publique dans une société qui amorce timidement une prise de conscience de cette
réalité.
Ce que ces témoins nous montrent de façon limpide, c’est que la violence sexuelle n’est jamais un
face à face entre un agresseur et une victime ; il y a toujours un tiers. Qu’il s’agisse d’une personne
proche de l’enfant, d’une institution, ou de la société tout entière. L’importance du positionnement
du tiers dit la dimension politique des violences sexuelles faites aux enfants. Celles-ci ne sont pas
d’abord une affaire privée, elles sont un problème d’ordre public et de santé publique.
Deux ans après l’ouverture de l’appel à témoignages, il est manifeste que les victimes qui y ont
participé rendent à toute la société un immense service. Elles nous montrent clairement la voie à
suivre pour protéger les enfants et opter pour une prévention efficace : le soutien social est une
politique publique avant tout.
Or, seules 8% d’entre elles ont bénéficié d’un soutien social positif, c’est-à-dire que 92% d’entre
elles n’ont pas entendu ces mots si simples : « je te crois, je te protège ».
« Et vous, pourquoi ne m’avez-vous pas aidé ? »
Dire que près d’un confident sur 2 ne fait rien (45%) ne revient pas pour autant à dire que le
confident ne croit pas l’enfant. Seuls 3 confidents sur 10 ne croient pas l’enfant.
Le plus souvent, l’enfant est cru mais n’est pas protégé
Près d’un enfant sur deux (45%) qui révèle les violences au moment des faits n’est pas mis en
sécurité et ne bénéficie pas de soins ; autrement dit, personne ne fait cesser les violences et
n’oriente l’enfant vers un professionnel de santé.
Parmi eux, 70% ont pourtant été crus lorsqu’ils ont révélé les violences.
Dans près de 50% des témoignages, le confident ne sécurise pas l’enfant : il lui demande de ne
pas en parler (27%) et même rejette la faute sur lui (22%). Consciente ou non, cette réaction ne
fait que renforcer la stratégie de l’agresseur.
En imposant le silence pour assurer leur impunité, les agresseurs fragilisent l’enfant et le mettent
sous emprise. Dans le même temps, ils « contaminent » le groupe social autour de l’enfant
(famille, proches, professionels, institutions). C’est particulièrement le cas dans l’inceste : dans
près d’un cas sur 2, les viols et agressions sexuelles sont commis en présence ou au su des
autres membres de la famille.
De nombreuses victimes témoignent auprès de la CIIVISE de la manière dont le confident inverse la
culpabilité – « je te crois mais tu me mets dans une situation impossible ». Comme dans toute
situation de violence, l’enfant victime est en effet dans un conflit de protection : révéler les
violences pour être protégé ou éviter les conséquences pour ses proches.
« Est-ce-que tu es bien sûr de ce que tu dis ? C’est important de ne pas mentir. Tu sais que si je
prends la plainte, ton papa risque d’aller en prison. » M. V.
« Elle m’a demandé : « Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? » Elle a demandé à sa propre enfant de
savoir, de prendre une décision pour elle-même alors que je disais que le beau-père n’avait pas un
comportement correct. Elle voyait bien que j’étais tétanisée, traumatisée pour pouvoir dire quoi que
ce soit. Elle me dit : « Et alors, qu’est-ce que je dois faire ? Je dois divorcer ? ». » Mme T.
Près de 6 professionnels sur 10 n’ont pas protégé l’enfant à la suite de la révélation des violences
(58%).
En revanche, lorsque le professionnel est protecteur et qu’il fait cesser les violences, il dépose
une plainte dans près de 6 cas sur 10 (58%) – c’est bien plus que pour l’ensemble des autres
confidents.
Même s’il est protégé, la gravité des violences est minimisée
Parent, proche, professionnel, nul n’est préparé à « encaisser le choc » que produit la révélation
d’un viol ou d’une agression sexuelle. L’incrédulité est une manière de se protéger. Si l’enfant
victime de violences sexuelles est dans un conflit de protection, les personnes auxquelles il se
confie le sont elles aussi.
Ainsi, dans les cas d’inceste, le confident (la mère le plus souvent) reçoit généralement une
révélation qui concerne des violences commises par une personne qui fait partie de sa famille et
qu’il aime.
« Je suis mère de trois enfants, dont une petite fille qui m’a révélée être incestée par son père. Je ne
l’ai pas crue sur le moment car c’était trop violent pour moi. » Mme R.
Lorsque l’enfant se confie à sa mère, c’est principalement au sujet de violences commises par le
conjoint de celle-ci (43,8%) – à savoir son père (29,6%) ou son beau-père (14,2%) – ou par son
enfant – à savoir son grand-frère (14,4%).
Nous l’avons dit, la révélation des violences sexuelles infligées aux enfants relève donc davantage
d’une responsabilité collective et sociale et devrait être assumée principalement par les
professionnels intervenant dans le champ de l’enfance.
C’est très loin d’être cas le cas aujourd’hui : non seulement les enfants sont très peu nombreux à
se confier à des professionnels (15%), mais en plus, les professionnels sollicités par les enfants
ne sont pas protecteurs. Le repérage d’un enfant victime ou susceptible d’être victime de violences
sexuelles génère naturellement pour tout professionnel une situation de stress important, qui peut
le conduire à préférer ne rien faire.
Il est donc essentiel de fournir aux professionnels des outils leur permettant de protéger l’enfant.
C’est l’objet du livret de formation « Mélissa et les autres » publié par la CIIVISE, en lien avec les
ministères concernés, en novembre 2022. Il faut désormais élaborer un plan de formation
interministériel et interprofessionnel ambitieux pour soutenir les professionnels dans le repérage
des enfants victimes et garantir une doctrine claire et nationale pour renforcer le niveau de
protection de tous les enfants où qu’ils vivent.
Plus d’un confident sur 3 prend des décisions pour mettre l’enfant en sécurité (36%) – au premier
lieu desquels les mères (70%), les pères (27%) et, enfin, les professionnels (23%).
Parmi eux, plus de 6 confidents sur 10 (62%) font cesser les violences mais ne déposent pas
plainte.
Parmi eux, les trois quart (75%) ne permettent pas à l’enfant de bénéficier des soins.
Lorsque les adultes sont protecteurs, il est impératif de les protéger
La réaction des confidents, qu’ils soient membres de la famille ou professionnels, doit être
analysée en prenant en compte le système social dans lequel elle intervient. Les témoignages
confiés à la CIIVISE mettent en évidence que souvent, les enfants victimes se heurtent à une
réponse insécurisante ou culpabilisante. Au-delà de la réponse individuelle d’une mère, d’un père,
d’un assistant social ou d’une policière, il est nécessaire de renforcer la chaîne de la protection tout
entière.
Ainsi, le non-recours aux institutions publiques est élevé, même quand le confident de l’enfant
prend des décisions pour le mettre en sécurité.
Les témoignages confiés à la CIIVISE révèlent la fragilité de la protection des enfants, mais aussi
ses paradoxes.
Même quand l’enfant est éloigné de son agresseur, aucune plainte n’est déposée. C’est dire que
l’importance de restaurer la loi est insuffisamment prise en compte.
Même quand l’enfant est éloigné de son agresseur, il ne bénéficie pas de soins. C’est dire que c’est
moins la dangerosité des agresseurs que la gravité des violences sexuelles qui est banalisée.
Ces paradoxes sont le produit du déni dont les violences sexuelles faites aux enfants font l’objet, le
déni de leur existence même, le déni de leur dimension collective et pas seulement privée, le déni
de leurs conséquences, enfin.
L’invitation faite aux enfants victimes de violences sexuelles de parler au « monde des adultes » est
en réalité une injonction paradoxale car ils sont confrontés au risque réel de ne pas être crus, voire
d’être culpabilisés par les institutions de protection.
Cette injonction paradoxale piège aussi les adultes protecteurs. C’est particulièrement le cas des
mères accusées de manipuler leur enfant et les institutions, mais aussi de professionnels qui
risquent des sanctions disciplinaires après avoir transmis un signalement.
Dès le 27 octobre 2021, la CIIVISE a publié un avis pour renforcer la protection des enfants victimes
d’inceste parental. Intitulé « A propos des mères en lutte », cet avis a permis d’alerter sur une réalité
à la fois tragique et injuste. Les mères sont dans une position particulière et intenable. Figure de
sécurité principale de ses enfants, c’est elle qui est le plus souvent la première confidente de
l’enfant victime.
Ne pas alerter les institutions de protection et être accusées de négligence ou de complicité ;
Les alerter en déposant plainte, en saisissant le juge aux affaires familiales, en écrivant aux
services sociaux et être accusées de mensonges et de manipulation.
A l’instant même de la révélation, ces mères sont prises dans un piège social :
Cette réalité est mise en évidence dans le documentaire « Un silence si bruyant ». Aux côtés des
quatre adultes qui témoignent de l’inceste qu’ils ont subi dans leur enfance, on voit aussi une petite
fille et sa mère. Celle-ci a été accusée d’ « aliénation parentale » quand elle a fait appel à la
protection des institutions publiques et sa fille a été contrainte pendant plusieurs années à aller
chez son père et à y subir à nouveau des violences sexuelles. Ce n’est que lors de la révélation de
violences sexuelles commises contre d’autres enfants par le même agresseur que la parole de
cette enfant et de sa mère a été prise au sérieux.
A chaque réunion publique de la CIIVISE, des femmes qui sont dans la même situation que cette
mère témoignent et demandent que leur enfant soit protégé. Mais qui voulons-nous protéger ?
Les préconisations de la CIIVISE doivent être mises en œuvre.
Partie 3. Une promesse tenue : la CIIVISE, un
soutien social inconditionnel
« A vous qui vous êtes libérés d’un fardeau que vous avez trop longtemps porté, à vous qui allez le
faire mais parfois hésitez, je veux juste vous dire : on est là, on vous écoute, on vous croit et vous ne
serez plus jamais seuls ».
C’est en ces termes que le Président de la République a annoncé la création de la CIIVISE le 23
janvier 2021.
Le choc provoqué par la publication du livre de Camille Kouchner a permis à la société de faire un
pas décisif. C’est en son nom que la CIIVISE s’adresse aux femmes et aux hommes de 40, 50, 60
ou 70 ans qui ont subi des violences sexuelles dans leur enfance, en leur disant : « nous vous
croyons, nous aurions dû vous protéger ».
Aujourd’hui, nous sommes donc collectivement prêts à dire « on vous croit » aux enfants victimes
une fois qu’ils sont devenus des adultes. C’est un progrès. Mais ce progrès contient un impératif
implicite : nous devons croire l’enfant lorsqu’il est encore temps de le protéger. C’est encore loin
d’être le cas.
« La parole tue quand elle est libérée et qu’elle n’est pas entendue et qu’elle n’est pas écoutée. » Mme
T.
Après deux années de recueil des témoignages, la CIIVISE a voulu montrer l’importance cruciale du
soutien social qui doit être donné aux victimes de violences sexuelles dans leur enfance. De la
qualité de ce soutien social dépendent la santé et la sécurité des enfants au moment de leur
enfance bien sûr, mais aussi tout au long de leur vie.
Permettre la révélation par le questionnement systématique, protéger sans attendre, rendre justice
et proposer les soins adaptés aux traumatismes. Mais aussi, accueillir la parole, respecter sa
légitimité, restaurer la primauté du langage que la violence a écrasé.
Tels sont les besoins des victimes de violences sexuelles dans l’enfance.
Tel est l’engagement de la CIIVISE.
Telle est sa doctrine inlassablement répétée depuis près de 3 ans. Une doctrine du soutien social
positif. Quand les enfants sont encore des enfants et indissociablement quand ils sont devenus
des adultes.
C’est parce qu’elle répond à ces besoins et à ces attentes que la CIIVISE a suscité un mouvement
d’une telle ampleur. Aujourd’hui, les personnes qui ont confié leur témoignage à la CIIVISE montrent
clairement la voie à suivre pour protéger les enfants et opter pour une prévention efficace : le
soutien social est une politique publique avant tout.
Une politique publique de soutien social, c’est d’abord une politique publique qui lutte contre le
déni – en apportant aux 5,5 millions d’adultes ayant été victimes de violences sexuelles dans leur
enfance un soutien qu’ils ont rarement eu ; c’est aussi une politique publique qui lutte contre le
déni en assurant aux enfants victimes aujourd’hui la protection dont ils ont besoin. Les deux sont
indissociables. C’est ce que fait la CIIVISE depuis près de 3 années maintenant.
« Vous répondez à quelque chose que j’espérais
tellement enfant »
Croire que la CIIVISE se substitue aux structures d’accompagnement déjà existantes est une
erreur. Il existait déjà des espaces d’écoute et de soutien, principalement associatifs, à commencer
par le Collectif féministe contre le viol. L’appel à témoignages ouvert par la CIIVISE, incluant la ligne
téléphonique « Violences sexuelles dans l’enfance », répond à une autre nécessité : la CIIVISE est
d’abord un espace de reconnaissance inédit et longtemps attendu.
Méconnaître cette nécessité est une erreur d‘interprétation du sens même que toutes les
personnes qui se sont adressées à la CIIVISE ont donné à leur témoignage.
C’est d‘abord confondre leurs demandes – parfaitement légitimes et auxquelles la CIIVISE répond
naturellement– d’accompagnement sur les plans social, judiciaire, ou thérapeutique, et leur attente
d‘être entendu et reconnu.
C‘est aussi ne pas comprendre qu‘elles témoignent de ce qu‘elles ont subi pour contribuer à la
protection des enfants aujourd‘hui et demain. Chaque témoignage personnel et l’ensemble
puissant qu‘ils constituent ont vocation à construire une culture de la protection. Leurs
témoignages privés sont devenus une parole publique.
Si, comme nous l’avons dit à plusieurs reprises, les femmes et les hommes qui témoignent le font
toujours pour eux-mêmes et pour protéger tous les enfants, le recueil de leur parole par une
instance publique et indépendante répond en réalité d’abord à un besoin – essentiel et légitime –
de réparation et de restauration : « Juste d’être entendue, c’est déjà un acte de restauration de soi
et de justice. »
Être écoutée, être crue et respectée, sans condition ni justification : le plus souvent les personnes
qui s’adressent à la CIIVISE ne l’avaient pas été jusqu’à présent
« Libérer leur parole », elles l’avaient déjà fait : plus de 9 personnes sur 10 avaient déjà révélé les
faits avant de nous confier leur témoignage. Ce n’est pas une surprise : dans près d’un cas sur
deux, les faits ont eu lieu il y a 20 ans ou plus ; et c’est à 44 ans en moyenne que les femmes et
les hommes ayant été victimes dans leur enfance s’adressent à la CIIVISE.
De nombreuses personnes qui ont témoigné avaient déjà reçu un accompagnement social,
judiciaire ou thérapeutique : elles se sont adressées à des services sociaux, elles ont consulté des
professionnels de santé, elles ont porté plainte.
Cependant, même lorsqu’elles ont bénéficié de cet accompagnement, elles expriment, audition
après audition, réunion publique après réunion publique, ce besoin d’être « entendues, écoutées,
vues, visibles et crues ».
1 personne sur 2 s’est déjà adressée à un professionnel au sujet des violences ;
1 personne sur 2 a été prise en charge par un professionnel de santé (psychologue,
psychiatre, médecin généraliste, etc) ;
1 personne sur 5 a déjà porté plainte.
Le manque de formation des professionnels
La rareté des soins spécialisés du psychotraumatisme
Un traitement judiciaire qui renforce le système d’impunité des agresseurs
Des victimes qui ont déjà bénéficié d’un accompagnement sur les plans social, judiciaire ou
thérapeutique
Un accompagnement qui ne répond pas aux besoins des victimes
Lorsqu’elles se sont adressées à un professionnel à l’âge adulte, dans 4 cas sur 10 (40,5%), celui-
ci n’a rien fait ; moins d’1 sur 5 les a crues (17,6%) ; moins d’1 sur 10 les a accompagnées vers un
dépôt de plainte (8%).
Lorsqu’elles ont été prises en charge par un professionnel de santé, elles ne sont que 4 sur 10 à
estimer que cela leur a permis d’aller mieux (42%).
Lorsqu’elles ont porté plainte, seules 13% des victimes ont obtenu une condamnation de
l’agresseur.
La CIIVISE s’est d’abord construite comme un espace où la confiance pourrait être recréée comme
un impératif inconditionnel. C’est le sens de ces mots : « vous n’êtes plus seules, on vous croit ».
Rupture de la solitude, car la parole est créditée sans condition. Et aussi parce que le recueil de
témoignages si nombreux crée une solidarité inédite entre les personnes que chaque agresseur
avait isolées dans la honte et la culpabilité.
L’appel à témoignages, dans un contexte social plus sensible au déni de l’inceste et de toutes les
violences sexuelles faites aux enfants, a répondu à une attente méprisée jusqu’alors : le besoin de
soutien social et de reconnaissance face au déni.
Car l’histoire de l’inceste et des violences sexuelles faites aux enfants, c’est l’histoire d’une société
qui veut faire comme si ça n’existait pas. Ce silence si bruyant, c’est celui auquel se heurtent les
victimes lorsqu’elles révèlent les violences. A ce silence, la CIIVISE oppose un soutien et une
écoute inconditionnels.
« Surtout, j’ai réalisé (avec un peu d’effroi, je dois l’admettre)
que c’était la première fois qu’on me considérait officiellement
et ouvertement comme une victime. Bien sûr, certaines
personnes de mon entourage personnel ou thérapeutique me
considèrent comme telle, mais entendre le mot de la bouche
d’un représentant de la puissance publique représente un
véritable soulagement. » « J’ai été crue par mes amis, par les
psys. Mais venir dans une instance officielle et me dire « je
vais peut-être être crue ». Ça a beaucoup d’impact. » « Quand
je dis « Je vous remercie », ce n’est pas par politesse, c’est
parce que je le ressens, au fond. Je suis… enfin entendue. En
fait, j’ai envie de dire ça : enfin entendue officiellement,
puisque finalement, jusqu’à maintenant, bon c’est des groupes,
c’est des personnes, mais là, c’est une officialité. » « Vous
n’êtes pas au tribunal, vous n’êtes pas là pour juger. Vous êtes
là pour faire avancer la loi. Il fallait que cette commission ait
lieu. J’ai l’impression pour une fois d’avoir été entendue. Vous
êtes là pour pouvoir tendre une main. Cette main, j’aurais voulu
qu’elle existe pour moi il y a plus de 30 ans. » « Alors, vraiment,
je ne peux que dire merci que cette Commission existe, parce
que je pense que c’est tellement, tellement nécessaire.
Heureusement que vous existez, que la CIIVISE existe parce
que, au-delà de la dénonciation que j’ai fait, grâce à tous ces
témoignages qui étaient arrivés un peu avant par des livres,
etc. il y a une légitimité à parler, maintenant. Il y a une espèce
de honte qui change de camp, parce qu’il y a quand même
beaucoup de honte au départ et une honte encore plus grande
que c’est au cœur de sa propre famille. »
Nous l’avons dit, au-delà de la première révélation et donc de la réponse du premier confident,
l’attitude de toutes les personnes et des institutions qui interviennent après la révélation est
essentielle. La qualité de ce soutien a un impact déterminant, y compris lorsqu’il intervient à l’âge
adulte.
Après quelques jours, quelques semaines, quelques mois parfois, il n’est pas rare que les
personnes qui ont témoigné à la CIIVISE expriment l’importance de cette rencontre dans leur
existence.
Il y a, bien sûr, Pascale, qui témoigne dans le documentaire Un silence si bruyant et qui avait
participé à la réunion publique organisée à Lille en janvier 2022.
« J’ai 54 ans, et j’ai eu une amnésie traumatique pendant quarante-cinq ans. Je viens de découvrir
que… que j’ai été abusée par mon père de 3 à 10, 11 ans. Pour vous dire quel enfer je vis depuis trois
ans, je suis devenue agoraphobe, je ne savais plus sortir de chez moi tellement j’avais peur. Donc
c’est une super victoire aujourd’hui et un symbole très grand, parce que je viens d’assez loin. Et c’est
la première fois que je fais un trajet aussi important, que je m’éloigne de mon domicile… Parce que
c’est ça qui me fait peur. Accompagnée de ma fille, on a pu faire le trajet pour venir jusqu’ici… alors
merci. »
Et toutes les autres.
Celles qui étaient enfermées et qui s’ouvrent à nouveau.
« J’ai eu la chance d’être auditionnée par la CIIVISE en juillet 2022. Je tiens aujourd’hui, et dans le
doute affreux que cette commission ne puisse pas perdurer dans le temps, à vous écrire ceci : c’est
comme si tout s’était ouvert en moi progressivement en une année. C’est difficile, mais nous allons
mieux. Ma sœur, qui allait vers de graves difficultés de santé, guérit doucement au grand étonnement
des médecins. Je ne suis plus régulièrement en arrêt maladie pour épuisement. La sécu s’en porte
bien mieux n’est-ce-pas ? » Mme B.
« Je vous ai rencontré pour apporter mon témoignage. Un mois après, il s’est passé quelque chose de
formidable, j’ai découvert que j’étais enceinte, cela a été possible après vous avoir parlé, j’ai enfin le
sentiment de démarrer une nouvelle vie. » Mme D.
Celles qui étaient seules et se découvrent nombreuses.
« Vous [la CIIVISE] êtes des botanistes de l’âme. C’est quelque chose d’essentiel de pouvoir
témoigner, de pouvoir parler. Pour moi, en termes de reconstruction, ce moment dont vous me faites
cadeau a un impact, mais vous n’imaginez pas. Je me disais « je suis un petit grain de sable » mais
un petit grain de sable plus un petit grain de sable ça peut faire des belles plages. Du coup, je trouve
que dans la vie, parfois, il y a des moments qui sont très importants, moi j’appelle ça des moments
de grâce, où il se passe quelque chose de très fort. » M. F.
« Je tiens donc à vous remercier énormément pour le travail gigantesque que vous faites, avec la
CIIVISE, pour toutes les victimes d’inceste, et pour m’avoir écoutée, entendue et CRUE surtout.
Tout cela change considérablement ma vie. J’ai décidé de prendre ma vie en main, et de croire, moi
aussi, que la vie est pleine de belles promesses. Je veux être heureuse, libre et sereine. » Mme C.
Et celles qui se sont senties réparées.
« Votre intervention fait du bien. J’intégrerai ça dans mon parcours de réparation, parce que c’est un
espace de parole qui nous est donné, qui est tellement rare. J’en ai eu très peu, il y a eu un film et
vous. » Mme S.
La protection des enfants n’attend pas : la politique
publique façonnée par la CIIVISE
Si la CIIVISE a recueilli 27 000 témoignages, c’est qu’elle est reconnue comme un espace de
confiance et de sécurité par les personnes auxquelles elle a adressé l’appel à témoignages. Un
espace de confiance et de sécurité au moment du témoignage bien sûr, et par les préconisations
que la CIIVISE formule.
« Je le fais pour moi et pour protéger tous les enfants. »
Cette intention inlassablement répétée ne doit pas être prise à la légère.
Il serait coupable de penser qu’il y a d’un côté le témoignage personnel d’adultes qui ont « envie de
parler » et, de l’autre, l’action publique pour protéger les enfants. D’un côté, le privé, et de l’autre, le
politique. Et entre les deux, une frontière étanche.
Redisons-le, dissocier le recueil de la parole des enfants victimes devenus adultes et l’adoption de
mesures pour protéger les enfants dans leur enfance est une erreur.
« Ça fait 30 ans que j’attends ça en fait, de pouvoir parler, parler pas juste pour moi, mais parler
vraiment pour les autres – ça me déculpabilise aussi –, mais pour que ça change. Le monde est
tellement injuste. » Mme I.
La CIIVISE n’est pas seulement l’incarnation d’une société plus empathique ou moins méprisante à
l’égard des victimes de violences sexuelles dans l’enfance. Elle est le signal que les violences
sexuelles faites aux enfants ne sont pas seulement une somme d’affaires privées, d’expériences
malheureuses mais inévitables. Mais qu’elles sont le résultat d’un problème dit systémique,
autrement dit, qu’il s’agit d’un problème collectif et donc, politique.
Croire que la CIIVISE se substitue aux institutions existantes, c’est ne pas comprendre la
spécificité des violences sexuelles et c’est ne pas comprendre leur caractère éminemment
politique.
Bien sûr, la stratégie des agresseurs, les mécanismes des violences, le psychotraumatisme et
l’urgence de la mise en sécurité des victimes sont communs à toutes les violences de l’intime, qu’il
s’agisse des violences conjugales, des violences sexuelles et notamment de l’inceste, ou de toutes
les formes de violences faites aux enfants.
Parce que l’histoire de l’inceste et des violences sexuelles est l’histoire d’un déni massif, ancien et
durable, les violences sexuelles faites aux enfants doivent faire l’objet d’une politique publique et
de pratiques professionnelles spécifiques. Qui peut encore croire que deux années, trois années,
auront suffi à sortir la société de ce déni ancestral ?
Parce que « la protection des enfants n’attend pas », la CIIVISE a formulé des préconisations sans
attendre le rapport du 20 novembre 2023. Dès le 27 octobre 2021, soit un mois après l’ouverture de
l’appel à témoignages, puis régulièrement, elle a proposé des mesures précises, réalistes et
réalisables pour renforcer les capacités de protéger les enfants et de lutter contre l’impunité des
pédocriminels.
Sans ces publications et les propositions qu’elles contiennent, inspirées par une doctrine claire et
inflexible, elle n’aurait pas été digne de la confiance des victimes qui lui ont apporté leurs
témoignages.
L’alliance de la parole des témoins et de l’investissement dans la politique publique de protection
de l’enfance est la condition de la lutte contre le déni qui bénéficie tant aux pédocriminels. La
CIIVISE est par sa nature même et par sa doctrine garante de cette alliance. Elle est dépositaire de
la confiance des victimes.
« On a mis en place tout un système de survie, et la société a mis en place tout un système pour nous
invisibiliser. La CIIVISE, c’est un changement de société. On ne peut même pas envisager d’en être
déçus, tellement ça serait mortifère, parce que vous répondez à quelque chose que j’espérais
tellement enfant. J’ai presque peur qu’on n’y arrive pas. » Mme L.
26 949 TÉMOIGNAGES
12 750 appels
Parmi lesquels :
4 575 mails et courriers
8 869 questionnaires
Le 21 septembre 2021, la CIIVISE lançait un appel à témoignages à destination des adultes ayant
été victimes de violences sexuelles dans leur enfance.
Deux ans plus tard, nous avons reçu des milliers de témoignages.
24 Réunions publiques
755 témoignages en audition et
en réunions publiques
Nous nous sommes d’ores-et-déjà déplacés en métropole à Nantes (octobre 2021), Bordeaux
(novembre 2021), Avignon (décembre 2021), Lille (janvier 2022), Paris (février 2022), Lyon (mars
2022), Marseille (avril 2022), Nancy et Paris (mai 2022), Rouen (juin 2022), Paris (septembre
2022), Tours et Toulouse (novembre 2022), Strasbourg (décembre 2022), Reims (février 2023),
Dijon et Bobigny (mars 2023), Rennes (avril 2023), Bastia (mai 2023), Nice (juin 2023), Grenoble
(septembre 2023).
Nous sommes également déplacés en Outre-mer à Fort-de-France, Martinique (janvier 2023) et à
Saint-Pierre et Saint-Denis, Réunion (juin 2023).
Appel à témoignages
Filipas, H. H., Ullman, S. E., 2001, Social reactions to sexual assault victims from various support
sources, Violence and Victims, 16, 6, 673-692.
Kimerling, R., Calhoun, K. S., 1994, Somatic symptoms, social support, and treatment seeking
among sexual assault victims, Journal of Consulting and Clinical Psychology, 62, 333-340 cité par
Billette, Valérie, et al. « Le soutien social et les conséquences psychologiques d’une agression
sexuelle : synthèse des écrits. » Santé mentale au Québec, volume 30, numéro 2, automne 2005,
p. 101–120.
Sadlier, K. (2015). Chapitre 24. Le changement dans les thérapies d’enfants victimes: L’enfant
victime de maltraitance et le changement thérapeutique. Dans : Roland Coutanceau éd.,
Psychothérapie et éducation: La question du changement (pp. 253-259). Paris: Dunod.
Bibliographie
Contact
Commission indépendante sur l’inceste et les violences
sexuelles faites aux enfants (CIIVISE)
Alice Gayraud
Responsable du plaidoyer et de la communication
alice.gayraud@sg.social.gouv.fr