Violences contre les enfants : le gouvernement sort in extremis de l’invisible
Paris, le mercredi 1er mars 2017 – Il ne sera pas dit que les gouvernements de François Hollande auront failli à leur mission concernant la lutte contre les violences envers les enfants. Moins de trois mois avant que l’équipe de Bernard Cazeneuve ne tire sa révérence, le ministre des familles, Laurence Rossignol présente aujourd’hui le premier plan interministériel consacré au sujet. Il y a quelques semaines, à l’occasion de ses vœux, le ministre avait préparé le terrain afin de faire face aux immanquables critiques concernant l’engagement tardif du gouvernement. Elle avait ainsi souligné qu’une action en la matière nécessitait une expérience solide, qu’elle avait pu acquérir tout au long de ses années au ministère, à travers notamment les mesures prises contre les violences faites aux femmes. La réalité est peut-être un peu moins idyllique.
Des tentatives timides
A titre d’exemple, l’avis de Laurence Rossignol sur les violences éducatives est établi depuis longtemps. Dès novembre 2014, elle s’exprimait ainsi à propos des châtiments corporels : « Quand on voit un homme battre sa femme, tout le monde intervient ; si on voit deux adultes qui se battent, on va essayer de les séparer ; si on voit quelqu’un qui martyrise un animal, on va intervenir et, en fin de compte, les seuls êtres vivants que l’on peut frapper sans justifier que l’on puisse intervenir, ce sont les enfants » avait-elle défendu. Pourtant, et malgré les nouvelles injonctions du Conseil de l’Europe sur ce thème, Laurence Rossignol n’a pas pu défendre un texte interdisant les violences éducatives, telle la fessée. Echaudé par la virulence des controverses lors du débat sur le mariage pour tous, le gouvernement a renoncé après cette expérience cuisante à lancer de nouveaux sujets potentiellement polémiques.
C’est donc de manière moins frontale que l’action a dû être menée. Ainsi, en 2016, le Livret des Parents distribué à tous les couples attendant un premier enfant précisait de manière claire : « Frapper un enfant n’a aucune vertu éducative » avant d’ajouter : « Les punitions corporelles et les phrases qui humilient n’apprennent pas à l’enfant à ne plus recommencer, mais génèrent un stress et peuvent avoir des conséquences sur son développement ». Plus audacieuse, en décembre 2016, dans l’indifférence provoquée par l’approche des fêtes de fin d’année, le ministre de la Famille a finalement soutenu un amendement à la loi Egalité et citoyenneté visant à interdire (de manière symbolique) les violences éducatives. Mais le texte a finalement été retoqué. Autant d’initiatives qui n’auront eu que peu de poids face à une question majeure et dont la timidité a été regrettée par certains observateurs.
Un monde médical majoritairement dans le déni
Aussi, in extremis, le gouvernement sort de l’ombre. L’objectif du plan présenté aujourd’hui est de « Sortir les violences faites aux enfants de l’invisible et de l’indicible ». Ce tabou concerne toutes les sphères de la société. Le secteur médical n’est nullement épargné. Les praticiens et les professionnels de santé sont en effet rarement à l’origine des signalements : 5 % seulement émanent des médecins, selon un chiffre régulièrement rappelé (et qui avait notamment été avancé lors du colloque national sur les violences faites aux enfants au Sénat en juin 2013). La faiblesse de ce chiffre contraste avec les nombreuses occasions offertes aux médecins de détecter de possibles violences, bien qu’il soit plus que probable que les enfants maltraités bénéficient d’un suivi médical moins optimal que les autres. Une enquête réalisée par Medscape en 2014 dédiée à l’éthique avait permis d’estimer le nombre de cas potentiellement passés consciemment sous silence : 24 % des médecins et 33 % des généralistes admettaient avoir déjà été confrontés à un cas suggérant clairement l’existence de la maltraitance, sans pourtant la signaler. Les raisons de ce silence sont nombreuses : méconnaissance des procédures à suivre, refus d’incriminer une famille alors que le doute subsiste, volonté d’accompagner différemment les parents et l’enfant peuvent expliquer cette attitude. « Le déni » des professionnels de santé est très important considère Anne Tursz directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). « Le rôle du secteur médical, par lequel passent tous les enfants est primordial tant en ce qui concerne la prévention que la prise en charge » insiste-t-elle. Aussi, la spécialiste se félicite que le plan prévoit la création d’un référent dédié aux violences contre les enfants dans chaque établissement. Une mesure similaire concernant les violentes faites aux femmes a été annoncée au début de l’été par le ministre de la Santé. Ces dispositifs permettent non seulement d’améliorer la prise en charge des victimes, de faciliter leur parcours de soins, mais aussi de sensibiliser le monde médical.
Deux décès d’enfants par jour
Un autre élément central de ce plan concerne l’épidémiologie. A la différence des violences conjugales, aucun chiffre choc n’a jusqu’à aujourd’hui permet de sensibiliser sur les maltraitances qui touchent les plus jeunes. Les travaux d’Anne Tursz ont donné un premier aperçu : ses extrapolations conduisent à penser que deux enfants meurent chaque jour sous les coups d’un adulte, le plus souvent ses parents. Ces statistiques sont largement ignorées et permettent de mesurer l’ampleur du phénomène, qui ne se limite malheureusement pas à la dizaine de faits divers sordides largement médiatisées (comme il y a quelques jours la mort de Yanis, puni pour avoir fait pipi au lit !). « Le côté extrême de ces faits divers est contre-productif, car ils sont à la fois représentatifs du pire et pas représentatifs d’un problème de société de grande ampleur, largement sous-estimé » remarque Anne Tursz.
Une action tardive mais incontournable
Ce plan sera également accompagné d’une large campagne de sensibilisation destinée à lever le tabou sur les violences faites aux enfants et à inciter à la prise de parole. Il permettra de donner une nouvelle visibilité au 119 à travers le slogan « Enfants en danger : dans le doute, agissez ! ». Laurence Rossignol avait expliqué qu’il s’agissait « d’amener tout le monde à penser l’impensable ». On notera enfin qu’un partenariat entre le 199 et le 3919, dédié aux femmes victimes de violences, devrait être signé. Avec un tel programme, le gouvernement, sans avoir pu rejoindre la cinquantaine de pays ayant pris des dispositions pour interdire les violences éducatives, prend clairement position en faveur de la défense des plus jeunes contre toutes les formes de maltraitance, des plus anodines aux plus sévères.
Aurélie Haroche