Violence domestique : intervenir ou pas ?
Des cris vous réveillent au milieu de la nuit. Vous soupçonnez que quelque chose de grave se passe chez la famille d’à côté. Conseils d’experts pour faire votre devoir de citoyen avec diplomatie.
Dans Fenêtre sur cour (1954), un des plus célèbres films d’Alfred Hitchcock, un photographe cloué à un fauteuil roulant ne trouve rien de mieux à faire que d’espionner ses voisins. Témoin impuissant et immobile d’un meurtre, il tentera de démasquer le coupable avec la complicité d’une amie dont la témérité pourrait lui être fatale. Nos histoires de voisinage ne sont peut-être pas aussi rocambolesques, mais vivre en société, en ville comme en banlieue, nous oblige parfois à être les spectateurs involontaires de la vie des autres. De leurs hauts comme de leurs bas. Comment réagir devant une situation de crise ou de violence ?
Nos relations avec nos voisins ne sont pas si différentes de celles que nous entretenons avec nos amis ou nos collègues de travail. Elles nécessitent autant de jugement que de doigté, selon Julie Blais Comeau, spécialiste de l’étiquette, et Dominique Boutin, avocate et vulgarisatrice juridique à Éducaloi.
Que faire si nous sommes témoins de situations inquiétantes chez nos voisins ?
Julie Blais Comeau : Quand la santé et la sécurité des voisins sont en jeu, il y a urgence. La priorité n’est donc pas le respect de la vie privée. Est-ce que je choisis de cogner à leur porte, et peut-être mettre ma propre sécurité en danger ? Dans le doute, on peut appeler la police, ou si on a une relation plus étroite avec un voisin, on peut lui téléphoner ou lui envoyer un texto pour s’assurer que tout va bien. Et si ça va mal, offrir notre aide.
Dominique Boutin : Nous avons une obligation légale, mais aussi sociale, de porter secours, et si ça nous met en situation de danger, il faut contacter des gens susceptibles de le faire à notre place : policiers, intervenants spécialisés, etc. Il n’y a pas qu’une seule façon d’aider. Si les circonstances le permettent, on doit prendre le temps de penser aux actions que l’on peut mettre en œuvre, et surtout s’informer. Quand on commence à avoir des inquiétudes au sujet d’une possible situation de violence conjugale, des organismes peuvent nous guider. SOS violence conjugale, par exemple, est là pour nous expliquer quel rôle on peut jouer. Lorsque des enfants et des adolescents (jusqu’à 18 ans) semblent victimes d’agressions physiques et sexuelles, il faut signaler ces mauvais traitements à la Direction de la protection de la jeunesse. Comme le signalement est strictement confidentiel, la famille impliquée ne saura pas de qui vient la plainte.
On doit donc passer par-dessus notre crainte d’avoir l’air de quelqu’un qui ne se mêle pas de ses affaires ?
Julie Blais Comeau : Si l’intention est noble, bienveillante, vous serez plutôt perçu comme un bon citoyen. Cela dit, il faut faire confiance à son instinct et regarder dans le rétroviseur notre relation avec ce voisin ou cette voisine. Si le dialogue est possible, on peut prévenir la personne que ce qu’on doit lui dire est difficile et délicat, que notre inquiétude est grande parce que l’on voit et entend des choses inhabituelles, inquiétantes. Mais il faut se baser sur des faits, pas des jugements de valeur, et offrir des ressources.
Dominique Boutin : Le sujet des violences sexuelles et conjugales est de plus en plus abordé dans la société, et les citoyens acquièrent de nouveaux réflexes. Pendant longtemps, on se disait : « C’est leur vie privée, ça ne nous concerne pas. » Grâce aux réseaux sociaux, le partage d’informations est plus important. Beaucoup d’organismes, comme Éducaloi, génèrent des contenus qui permettent aux gens de connaître leurs droits et obligations, et d’aiguiser leur sens critique.
La frontière n’est-elle pas un peu mince entre vouloir connaître ses voisins et s’immiscer dans leur vie privée ?
Julie Blais Comeau : Dans un Québec de plus en plus vieillissant, les notions d’accueil et de bienveillance me semblent prendre de plus en plus d’importance. Il faut développer à l’égard de nos voisins notre sensibilité à la solitude et à la santé mentale. Ce n’est pas parce que l’on n’entend jamais nos voisins qu’ils sont parfaits et sans problèmes… On doit également comprendre la culture des gens qui nous entourent : certains couples se chicanent souvent, ce qui ne les empêche pas de s’aimer, ça fait partie de leur dynamique. Et pour le savoir, il faut se comporter en voisin « idéal » : reconnaître la présence de l’autre, le saluer, être discret, mais aussi respectueux des lois comme de la bulle de proximité. En somme, être quelqu’un de confiance.
Dominique Boutin : La loi prévoit le droit au respect de la vie privée dans sa maison ou son logement. Ce qui ne signifie pas que nous soyons invisibles : nous voyons un peu les allées et venues de nos voisins, ils sont témoins des nôtres, ce qui est tout à fait normal. Par contre, lorsque certains voisins vont trop loin, en surveillant de manière un peu insistante, ou en utilisant des caméras par exemple, ils sont probablement en train de scruter notre intimité, même s’il n’y a pas de ligne claire en ce qui concerne le harcèlement. Mais se saluer, prendre des nouvelles, ce n’est en rien intrusif.