Si spontanément la violence est associée dans une société patriarcale à l’homme et au masculin, mon propos a pour but de questionner l’autre polarité : la violence des femmes. Ma pratique de psychopraticienne m’amène à analyser plus profondément les facteurs qui poussent une personne à la violence, secouant parfois le schéma traditionnel de bourreau et de victime. L’acte violent s’inscrit toujours dans un cadre donné, au sein d’une famille, d’un contexte socio-religieux où tout questionnement du contexte est en général évité. On préfère mettre en avant la souffrance de la victime et la brutalité du bourreau en rejetant toute implication possible des collatéraux. D’ailleurs celui qui est passé à l’acte évoque même souvent l’épisode de violence comme une forme de possession : “Ce n’était plus moi, je ne sais pas ce qui m’a pris”.
Force émotionnelle de la femme et violence verbale
Si les caractères sexuels différencient assez clairement au niveau de l’image corporelle le masculin du féminin, il faut savoir que la différence entre un cerveau masculin et féminin est plus grande que celle qui existe entre le cerveau humain et celui d’un chimpanzé. C’est dire que profondément différents, nous évoluons dans des univers spécifiques masculin ou féminin. Destinés à vivre ensemble et si possible à nous entendre sur une vision du monde dite objective, nous sommes en tous cas poussés par notre sexualité à nous rencontrer et à nous perpétuer. Heureusement pour trouver des points d’accord entre les deux sexes nos hormones sont à la fois mâles et femelles et notre cerveau (homme ou femme) est divisé de la même façon en deux hémisphères : l’hémisphère gauche commande la parole, l’analyse, le côté droit du corps associé à la masculinité, et à l’activité. L’hémisphère droit gouverne l’intuition, la vision d’ensemble, la sensibilité, la connaissance immédiate, le côté gauche du corps associé à la féminité, à la réceptivité, et à la passivité. Chacun de nous a des éléments de l’autre sexe. L’être humain est bisexué.
La petite fille en venant au monde hérite d’une place dans la société patriarcale, fruit d’un long conditionnement culturel et de l’alliance générationnelle qui inscrit son identité dans celle du sexe faible, soumis à l’homme (père, frère, mari) en contre partie d’une protection et d’une sécurité. On attend d’elle qu’elle soit sage, douce, et tranquille, fidèle au modèle que lui transmet sa mère. Dans ce contexte être reconnu comme un sujet est un combat plus difficile pour la fille que pour le garçon. L’égalité est le fruit d’une revendication récente des femmes qui n’est de loin pas terminée. S’ouvrir à la liberté possible de la femme génère dans les sociétés traditionnelles des réponses brutales et violentes.
Car envisager une féminité épanouie et libérée où chaque sexe manifeste son originalité en respectant l’autre est révolutionnaire. Pour ne pas bouger nos croyances sommes nous condamnés à la « guerre des sexes » réponse automatique à l’inacceptable différences ?
Les filles commencent à parler plus tôt que les garçons et mieux. Dans une vision freudienne, “en compensation d’un pénis atrophié, elles ont la langue bien pendue”. Elle se battent avec les mots. En cas de conflits leurs armes sont les phrases assassines, assénées souvent d’une voix douce et qui touchent l’homme dans sa fragilité. Il ne sait comment répondre et réagit souvent par la brutalité physique. Et si aucun des partenaires ne lâche prise la violence s’installe. Car la femme a le pouvoir de mettre en mots ses émotions et développe ainsi une force à la mesure de la force physique. Annick de Souzenelle souligne que “si la rigueur féminine n’épouse pas la miséricorde masculine, elle est dureté et peut devenir cruauté”. Carl Gustav Jung fait dépendre l’équilibre psychique de la dialectique entre le conscient et l’inconscient. L’analyse jungienne insiste sur la nécessité d’arriver à intégrer en soi les polarités masculines et féminines qui coexistent chez le sujet. L’organisation psychique est bisexuelle, l’homme porte en lui son aspect féminin ou anima, la femme porte en elle son aspect masculin ou animus. Anima et animus sont des composantes psychiques structurantes qui doivent être conscientisées et intégrées par le sujet.
L’anima de l’homme, l’animus de la femme
Pour la femme l’animus est la personnification masculine de l’inconscient. L’animus apparaît sous forme d’une conviction cachée “sacrée”. L’identification à l’animus rend la femme implacable et dure. « On se heurte subitement chez la femme à quelque chose d’obstiné de dure, d’implacable de totalement inaccessible. On peut rarement contredire une opinion venant de l’animus, car elle a l’air raisonnable mais en fait, elle n’a rien à voir avec le problème posé ».
Selon C. G. Jung, l’animus est influencé par le père de la femme. “C’est le père qui donne à l’animus cette conviction indiscutable parce que vraie qui a l’inconvénient de n’avoir aucun rapport avec la personne réelle de la femme”. Dans cette forme particulière, l’animus détourne la femme des relations et surtout de tous contacts avec les hommes. Il incarne une sorte de cocon de rêves, de désirs, de jugements définissant le monde “tel qu’il devrait être”. Les réflexions d’une femme possédée par l’animus deviennent froides et destructrices. Ainsi elle se met à penser à l’héritage familial, elle tisse une sorte de toile d’araignée faite de calcul, de malveillance et d’intrigues qui peut l’amener jusqu’à un état d’âme où elle se met à souhaiter la mort d’autrui. Ainsi dans un couple, la réflexion d’une femme : « Quand l’un de nous deux mourra, je m’installerai sur la Riviera”.
La femme est alors en proie à une insécurité profonde, habitée d’une étrange paralysie de tous les sentiments. Dans son influence négative l’animus pousse la femme à la brutalité, la rumination silencieuse et obstinée d’idées malveillantes agissant dans son univers comme un poison. Dans un couple l’identification à l’animus et/ou l’anima suscite une atmosphère d’émotivité et d’irascibilité générale et quand l’un des partenaires est possédé par son animus ou son anima l’autre est enclin a être possédé par le sien. La communication est difficile les affrontements se multiplient. C’est la guerre des sexes.
Mais tout comme l’anima chez l’homme, l’animus de la femme est un pont vers le Soi noyau de la psyché. La difficulté d’intégration de l’animus dans la conscience féminine est évoquée dans les contes et mythes ou la femme doit promettre de renoncer à sa curiosité et faire confiance à son amour (cf. “Eros et psyché”, “La Belle et la Bête”). Dans ces récits, en faisant confiance à la force de l’amour, l’héroïne serait heureuse. Mais elle manque toujours à sa promesse et elle est séparée de son amant. Elle ne le retrouve qu’après une longue et pénible quête marquée par de multiples souffrances.
La femme doit veiller sur son animus, sur sa nature. Si elle prend conscience de ces aspects négatifs et de l’influence qu’il exerce sur elle, elle peut affronter sa réalité au lieu d’ en être possédée. L’animus devient alors un compagnon intérieur qui transmet les qualités masculines d’initiative, de courage, d’objectivité et de sagesse spirituelle.
Il exprime 4 stades de développement psychique :
– comme personnification de la simple force physique,
– comme esprit d’initiative, capacité d’agir et d’organiser,
– sous les traits de l’enseignant ou du prêtre, où il témoigne de l’enseignement verbal,
– comme pensée métaphysique médiatrice de l’expérience religieuse qui donne un sens nouveau à la vie.
L’animus aide la femme à construire une fermeté spirituelle, un soutien intérieur invisible qui compense sa faiblesse apparente. Ainsi dans son aspect positif, il relie la femme à l’évolution spirituelle de son époque et la rend plus réceptive que l’homme aux idées créatrices (les femmes ont été les 1ères à sentir l’intérêt et l’utilité des psychothérapies). Mais cela suppose une évolution intérieure où elle trouve le courage et la largeur d’esprit nécessaire pour mettre en question les limites que l’éducation et la société traditionnelle patriarcale lui ont transmis sur sa place et son identité.
Dans la psychologie jungienne l’individuation passe par une confrontation avec l’animus et l’anima, pour les connaître et ne pas en être possédés et avoir alors accès au soi, noyau le plus intérieur de la psyché. Pratiquement, cela signifie que le comportement humain ne pourra jamais être expliqué de façon satisfaisante par des instincts isolés ou des mécanismes orientés, tels que la faim, la puissance, la sexualité, la conservation et la perpétuation des espèces. Pour C.G. Jung, le but principal de l’homme est d’être humain.
Violence et pouvoir maternel
Françoise Dolto évoque le destin de la petite fille en mettant en évidence le rôle prépondérant de la mère. Le rôle de la mère est absolument dominant et perdure longtemps dans le développement de la fille. F. Dolto parle de dyade, lien voluptueux entre le nourrisson et sa mère nourrice. Quand cela se passe bien le bébé développe une relation libidinale structurante qui va conditionner par la suite sa croissance et l’accès à sa génitalité de femme. Ainsi, au début, la mère est le premier objet ressenti phallique, d’amour et de volupté. Le nourrisson fille ou garçon vit au rythme des préférences affectives et biologiques de sa mère, véritable fusion à laquelle il lui faudra renoncer pour structurer son identité. La présence du père va favoriser l’interruption de ce lien fusionnel en amenant le renoncement à cet amour unique. La fille devra ensuite renoncer à son père pour accéder à la maîtrise de son corps et de sa génitalité.
Dans une optique analytique ces phases successives de croissance peuvent se résumer de la façon suivante :
– Nécessaire identification à la mère/ 1ère séparation (deuil) de la relation fusionnelle.
– Identification au désir de la mère qui est (si tout va bien) orienté sur le père.
– Désir du père. Nouveau deuil à faire pour laisser la place au couple père-mère et entrer dans l’autonomie de son destin de femme. Cette identité se construit avec et contre la mère, et c’est aussi dans le rôle de mère que nous pouvons repérer les traces de cette violence purement féminine.
La mythologie grecque est une source riche en exemples. Ainsi Médée, dans “le cycle des Argonautes”, abandonnée par Jason, se venge en égorgeant ses enfants. Elle est propriétaire du fruit de ses amours et peut en disposer dans sa toute puissance de mère (les faits divers sont remplis de Médées du 21ème siècle). L’enfant dans cette situation n’a pas d’existence propre : F. Dolto parle des mères dévorantes.
Les mères dévorantes
Les mères dévorantes ont plus besoin de leur enfant que celui-ci n’a besoin d’elles. « Elles ont plus besoin de la masse phallique de leur enfant dans les bras (prétextant des soins à leur donner) que de leur conjoint adulte dans les bras de qui elles éprouvent des joies moins intenses ». Le corps de leur enfant leur appartient. Ainsi par exemple, elles gardent le nourrisson au sein le plus longtemps possible.
Exemple : Julie ayant eu à faire face aux geste incestueux de son père, qui voulait toucher sa poitrine, raconte que celui-ci a été allaité par sa mère jusqu’à l’âge de 4 ans. Il devait aller chercher un tabouret pour la tétée. Cette mère captatrice s’était attaché en toute bonne conscience son enfant au nom de l’amour maternel, freinant le moment nécessaire de l’indépendance de son enfant.
Les mères envahisseuses
Karine évoque son étonnement et sa tristesse après la mort de son père, survenue 3 ans après celle de sa mère quand elle réalisa, en rangeant la maison familiale, que le seul objet personnel de son père était un portefeuille usé avec ses cartes de sécurité sociale et d’ identité. Cet homme n’écrivait pas, ne lisait pas et avait terminé sa vie dans un fauteuil, paralysé. Bien que la maison lui appartenait, rien n’était vraiment à lui sinon ce portefeuille et le fauteuil. Il n’y avait pas de traces d’un vécu intime et personnel dans la maison. Sa femme avait tout envahi. Elle avait pris possession de la maison : casseroles, peintures, œuvres d’art, photos, disques. Tout était à elle quand elle vivait encore et elle se plaignait du mauvais caractère de son époux, et ne comprenait pas son attitude agressive puisqu’elle pensait sincèrement lui être complètement dévouée. Cette femme au caractère doux et sensible gérait la vie de son mari, le maternait, faisait de lui un enfant supplémentaire, ne lui laissant aucune place dans la maison. Et lui s’était laissé faire au point de tout lui remettre.
Un petit test pour les femmes : réfléchissez à la façon dont est réparti le pouvoir dans votre maison. Votre compagnon a-t-il un coin à lui. Y a-t-il des tiroirs que vous n’ouvrez pas ?
Souvent c’est la femme qui domine à la maison, allant jusqu’à gérer le salaire de son mari. Ces abus souvent commis en douceur pour le bien de l’autre peuvent faire beaucoup souffrir. Les abusives envahissent l’espace physique mais aussi l’espace sonore. Elles parlent à la place des autres. Les mères abusives ne sont pas conscientes des violences exercées sur le corps de leur enfant. Elles répètent les lavements, soumettent l’enfant constipé à l’introduction de suppositoires, le gavent de nourriture.
Souvent elles sont confortées par la règle sociale et s’appuient dessus. Ainsi Stéphanie, 9 ans, ayant une verrue sur le visage va à l’hôpital, accompagnée de sa mère. Elle se souvient de ce moment de honte où elle a dû se déshabiller devant le professeur de médecine et son aéropage d’étudiants pour détecter d’autres verrues ou boutons éventuels. Le plus révoltant pour elle c’était la soumission de sa mère qui permettait cela. En cas de maladie le corps de l’enfant est palpé, touché, manipulé sans son autorisation. Toutes ces situations sociales où les frontières du corps de l’enfant ne sont pas reconnues participent au dépouillement de son identité de sujet. Ce sont les mères qui sont les premières complices. Les mères envahisseuses sont comme l’eau, elles s’infiltrent partout. La maison est leur territoire, il n’y a aucun lieu où elles n’ont pas le pouvoir de pénétrer.
Une de mes patientes de 33 ans habitait chez ses parents et souffrait de cette dépendance affective à tel point qu’elle ne s’étonnait pas de l’absence de clef à la porte de sa chambre. Habituée à ne pas être respectée dans son territoire, elle ne sentait pas le besoin de fermer sa porte. Elle trouvait normal cet état de fait et elle avait peur de blesser ses parents en leur demandant une clef.
Les mères servantes
Elles vont continuer à laver le linge de leurs enfants adultes. Ainsi ce fils de 40 ans, père d’un enfant, qui quitte tous les soirs sa compagne et dort chez ses parents en amenant son linge. Là encore il y a incapacité à quitter la force maternelle. En entretenant ce fonctionnement la mère captatrice continue à infantiliser son fils et à se l’attacher. “Que deviendrait-il sans moi”?
L’archétype maternel
Pour C. G. Jung, à la différence de la psychanalyse freudienne, il ne faut attribuer qu’une signification relative à la mère personnelle. Ce n’est pas elle qui constitue en tant que personne la source de toutes ces influences sur la psyché enfantine mais bien plutôt l’archétype maternel projeté sur la mère qui donne à celle-ci son autorité et sa luminosité. Cet archétype contient l’autorité magique du féminin, la sagesse et l’élévation spirituelle au-delà de l’intellect. Il est ce qui soutient, protège, favorise la croissance, la fécondité, il contient le secret de la transformation. Mais cet archétype c’est aussi l’abîme, le monde des morts, ce qui dévore, séduit ou empoisonne.
Lorsqu’il y a hypertrophie de l’élément maternel, l’unique but de la femme est d’avoir des enfants. L’homme est accessoire. Instrument de procréation, il est un objet dont il faut prendre soin tout comme « les enfants, les parents pauvres, les chats, les poules, les meubles ». Sa personnalité propre demeure plus ou moins inconsciente. D’abord elle porte les enfants, puis s’accroche à eux, car sans eux elle n’a aucune raison d’être. “Là ou l’amour est absent la puissance s’installe à la place vide”. Comme Déméter, la femme hyper-maternante arrache aux dieux un droit de possession sur son enfant.
Violence et sexualité féminine
Habituée aux cycles biologiques, au sang, aux fluides et aux odeurs, la femme est dure avec son corps, au point de trouver le courage d’avorter toute seule. Suivant l’exemple des femmes qui l’ont précédée, elle est habituée à la souffrance et celle de l’accouchement est normale. Cette fatalité du souffrir n’est remise en question que depuis peu.
Victime et bourreau
Clarissa Pinkola Estes, dans son livre “Femmes qui courent avec les loups”, décrit ainsi l’archétype féminin : “Une femme saine est comme une louve, pleine comme un œuf avec les pouvoirs innés du féminin que sont l’intuition et celui de sentir les choses. Elle est dans les tripes et non dans la tête, c’est la force intuitive de la nature ”. Coupée de sa vie instinctuelle, exilée de son intériorité, la femme exerce sur elle même sa violence et plus particulièrement sur son corps qui la confronte et se transforme malgré ses efforts. Elle exerce son autorité sur sa silhouette à travers d’innombrables régimes, d’opérations chirurgicales et esthétiques souvent dangereuses. Introjectant le regard critique d’un animus implacable, se cherchant dans une image porteuse de désir, elle installe une dépendance face au miroir.
La femme qui perd le contact avec son intériorité, développe un lien de dépendance face au regard des autres. Fragilisée, instable, elle est la proie des sollicitations commerciales. Elle rentre dans le supposé désir d’une forme parfaite, victime d’un plaire, impossible à satisfaire. Bourreau d’elle même, elle devient victime de la pression des médias, des courants tendance. Elle se coupe de son pouvoir naturel de séduction et de magie.
Violence sexuelle et fatalité du “souffrir”
Si elle n’habite pas son corps, dévalorisant de par son éducation tout ce qui touche à la sexualité, elle se cabre contre tout ce qui sourd de sa nature profonde. Adoptant le monde du masculin elle devient l’ennemie de tout ce qui est obscur, trouble et équivoque et cultive tout ce qui est clair et raisonnable. Elle fait alors violence à sa profondeur. Apparemment ouverte, elle peut donner l’illusion du plaisir mais ne se donne pas et ne peut pas se donner. Durant les rapports sexuels elle a une grande capacité à s’absenter, s’insensibiliser et se fermer. Elle fait semblant par soumission et par peur. Elle craint d’être vraie, de déplaire et cela par éducation et conditionnement. La relation sexuelle se transforme alors en viol consenti, en pénétration par obligé. Elle se trahit dans la profondeur de son être et elle abuse également son partenaire en se forçant “à”.
Ainsi Léa qui s’est mariée pour quitter un milieu parental insupportable, mère de 4 enfants : “Je ne lui dis jamais non, j’attends que cela se passe. Je n’ai aucun désir. C’est toujours lui qui me sollicite”. Cette femme d’âge mûr vit avec un corps qui lui est étranger. Elle ne s’est jamais touchée, ni masturbée, et n’a jamais osé regarder son sexe dans un miroir. Elle vit cette partie d’elle-même comme sale et dangereuse. Elle en a honte et souffre énormément. Elle se dit frigide mais la frigidité est le fruit d’une combinaison d’événements et de tabous.
Biologiquement construite pour être pénétrée, la femme en a besoin. Mais le coït ne suffit pas pour qu’elle se sente touchée dans son intimité. Elle a besoin d’un feu vert, d’un oui en profondeur pour s’ouvrir à cette expérience de lâcher prise.
Au niveau collectif ce n’est que depuis Freud qu’on s’intéresse au plaisir et à l’orgasme féminin. Ignorante de son corps, la fille va souvent sur-valoriser sa vie émotionnelle au détriment de sa vie pulsionnelle et des premières expériences sexuelles sont rarement satisfaisantes. Il y a souvent un décalage entre l’intensité du sentiment et la morosité ou la souffrance du vécu corporel. Cette alliance entre l’épanouissement affectif et l’éveil du plaisir sexuel est à conquérir et les modes d’emploi sont rares.
L’orgasme féminin lui même peut impressionner par l’intensité, la violence des sensations. Il est l’irruption de l’incontrôlé et du non maîtrisable, d’une expérience “douleur plaisir”. Si lafemme est reliée à la puissance de sa nature, elle peut lâcher son agressivité dans l’acte sexuel et sortir d’une passivité de bon aloi.
Wilhelm Reich a parlé de la puissance orgastique comme manifestation de l’énergie du vivant lorsque cette énergie circule dans tout le corps elle a les vertus de ré-appropriation et de rééquilibrage de l’être tout entier. Pour lui, “la souffrance névrotique est due à une vie sexuelle mal épanouie ”.
Pour pénétrer une femme l’homme doit traverser la peur du féminin, de l’engloutissement, la peur de la fragilité, de sa propre faiblesse et prendre le risque de mourir. C’est la femme qui donne à vivre à l’homme la forme, la réalité de son pénis. C’est elle qui le confirme ainsi dans ce qu’il est au plus profond de lui même. Le jouir est d’abord pour elle l’expérience d’une solitude habitée par le plaisir et faisant écho à celle de son partenaire, une expérience partagée de renouveau et de création. Seul(e) et en même temps ensemble, tel est le pari de la rencontre amoureuse. Mais lorsque la femme ne se sent pas pénétrée, renouvelée et remplie, elle fait souvent payer à son partenaire sa frustration. Elle devient castratrice, harcelante, impitoyable. Quand elle n’est pas touchée elle reste fermée et peut le rester longtemps.
Ainsi cette femme mariée à un mari infidèle qui ne veut pas se séparer et qui alterne entre castration et attachement. Dès qu’il se rapproche d’elle, elle ne le supporte pas et le démolit autant qu’elle peut dans sa vie sociale, familiale, professionnelle. Incapable d’échanger en profondeur elle est possédée par une rage destructrice, le harcelant la nuit au téléphone, lui disant qu’elle l’aime et en même temps infirmant son propos par des actes contraires. C’est l’exemple d’une femme blessée dans son idéal et incapable de rencontrer son partenaire tel qu’il est. Quoi qu’il fasse il est coupable devant le tribunal intérieur qui siège en permanence. En même temps pris dans ce jeu dangereux où les passages à l’acte et les dérapages sont fréquents, ils n’arrivent pas à se séparer. Chaque rencontre est dure et violente et ils sont tous deux contaminés.
Le féminin à sa juste place pour une « mystérieuse conjonction »
Nous vivons dans un monde possédé par le fantasme scientifique de l’objectif et nous avons dépouillé notre univers de l’expérience du lien affectif que les tribus primitives connaissent, celle de la participation mystique au monde. Là où le primitif se met en prière pour que le soleil réapparaisse (se relie ainsi à la réalité de la mort et de la fin) nous consultons la météo pour prévoir le parapluie où la crème solaire (la mort doit être évacuée à tout prix). Dans la mesure où l’inconscient et ses manifestations sont plutôt reliés à la sphère féminine, irrationnelle, émotive subjective etc., nous avons perdu le lien avec les messages inconscients et lorsque quelque chose d’étrange se manifeste on le traite d’anormal. Il y eut un temps où comme Moïse l’homme entendait, voyait le monde divin. Nous sommes si accoutumés à la nature apparemment rationnelle de notre monde que nous pouvons à peine imaginer qu’il s’y produise quelque chose que le bon sens ne suffit pas à expliquer.
L’homme primitif est plus préparé à des chocs de ce genre et ne douterait pas de sa santé mentale, il songerait à des fétiches, des esprits des dieux. L’homme moderne se sépare de son intériorité, happé par une trop grande extériorisation qui influe sa vie consciente. Médias et télévision l’aident à forger une opinion standard, un conformisme de pensée avec le danger d’élargir le fossé existant entre conscient et inconscient jusqu’à la dissociation névrotique d’une vie plus ou moins artificielle, très éloignée des instincts de la nature mère originelle. C’est la coupure entre conscient et inconscient qui crée les désordres psychiques.
Sur la tombe de notre ami Yvan Amar se trouve la sculpture d’un lingua, symbole indien de l’union du masculin et du féminin. Et à propos de la 3e béatitude “Bienheureux les humbles, les doux, ils auront la terre en héritage”, Yvan Amar souligne que savoir accueillir – qu’on soit homme ou femme – avec humilité et douceur la nature profonde de notre corps avec son animalité (qui n’a rien à voir avec la bestialité), c’est lâcher la force destructrice d’un conscient coupé de ses racines.
Le mot humble en hébreu veut dire courbé. Et lorsque vous vous courbez comme un serviteur de quoi vous rapprochez-vous ? de la terre. Celui qui est humble se rapproche de l’humus, de la poussière, et ce faisant de son corps. Celui qui se met en contact à l’écoute de la terre et de ce lien profond avec elle retrouve la relation d’origine avec la terre mère et par conséquent à son corps et à la féminité du monde. Quitter la violence exercée sur le féminin en tant que nature corps-terre, c’est développer la relation de douceur. Quand le féminin est à sa juste place, dans l’échange l’homme et la femme conjuguent leurs polarités opposées à l’intérieur, dans un mariage des profondeurs que Carl Gustav Jung a nommé «une mystérieuse conjonction ».