Trois choses à savoir sur l’amnésie traumatique
Ses souvenirs étaient « enfermés » en elle comme « à double tour ». Ces confidences, extraites du documentaire Viols sur mineurs : un combat contre l’oubli, diffusé mercredi 15 novembre sur France 5 – et écrit par l’animatrice Flavie Flament –, ont remis en lumière l’amnésie traumatique.
Le point sur ce phénomène ancien, mais longtemps méconnu :
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Il s’agit d’une disjonction du cerveau
L’amnésie traumatique décrit une période pendant laquelle une personne n’a pas conscience des violences qu’elle a subies. Le souvenir, enfoui dans le cerveau, est inaccessible à cause d’une dissociation qui s’opère au moment du traumatisme. A ce moment-là, « pour se protéger de la terreur et du stress extrême générés par les violences, le cerveau disjoncte et déconnecte avec les circuits émotionnels et ceux de la mémoire », explique Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie.
Le phénomène peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années. « C’est comme regarder un paysage montagneux dans un épais brouillard, on devine que quelque chose se cache derrière mais on ne sait pas quoi exactement », décrypte la psychiatre. C’est pourquoi, bien souvent, on constate chez les personnes atteintes d’amnésie traumatique une « sensation de vide », une « souffrance » :
« Elles ont l’impression d’avoir subi quelque chose sans savoir quoi. Elles n’ont pas véritablement oublié leur traumatisme mais émotionnellement, elles n’y ont pas accès à cause de la dissociation. »
La remontée brutale des souvenirs a généralement lieu quand la victime n’est plus exposée à son agresseur ou quand elle vit un changement radical, comme la perte d’un proche, une rencontre, une émigration ou un bouleversement émotionnel du type grossesse ou maladie.
Parfois, l’amnésie peut se révéler partielle. La présidente de l’association évoque le cas de cette jeune patiente « qui se souvenait d’avoir subi des attouchements sexuels de la part du fils de la meilleure amie de sa mère qui l’a gardé entre ses 6 et 9 ans », mais pas du viol. « C’est en écoutant à l’âge de 24 ans une chanson qu’elle avait entendue avant le premier viol que celui-ci et tous les autres lui sont revenus en mémoire. »
Lire un témoignage : Amnésie traumatique : « Deux minutes après m’être allongée, j’ai hurlé le surnom de mon agresseur »
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Les enfants sont les premières victimes
Découverte au début du XXe siècle, l’amnésie traumatique a d’abord été décrite chez des soldats traumatisés qui ne se souvenaient plus des combats. Mais c’est chez les victimes de violences sexuelles dans l’enfance que l’on retrouve le plus d’amnésies traumatiques, « leur cerveau étant beaucoup plus vulnérable aux violences et au stress extrême ainsi qu’aux traumatismes qu’elles entraînent », précise Muriel Salmona.
Le phénomène peut également toucher des personnes ayant subi dans l’enfance un traumatisme comme la mort d’un proche, ou encore des victimes d’attentat, comme le décrit Mme Salmona :
« J’ai une patiente qui est restée au Bataclan jusqu’à l’assaut final. Elle se trouvait dans la fosse quand elle a reçu plusieurs balles. Elle a complètement oublié qu’elle s’était occupée d’une victime en lui parlant sans arrêt. C’est la personne qui le lui a rappelé quand elles se sont rencontrées. »
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Une bataille législative est en cours pour allonger les délais de prescription
Dans une enquête réalisée en 2015 par le collectif Stop au déni auprès de 1 214 victimes de violences sexuelles, 37 % des victimes mineures ont rapporté des périodes d’amnésies traumatiques qui ont duré jusqu’à quarante ans, et même plus longtemps dans 1 % des cas. Elles ont duré entre vingt et un et quarante ans pour 11 % d’entre elles, entre six et vingt ans pour 29 % et moins de un an à cinq ans pour 42 %.
C’est au regard de ces résultats que plusieurs associations de victimes, telles que Mémoire traumatique et victimologie, ont fait campagne pour que les délais de prescription en cas de viol ou d’agression sexuelle, jugés « inadaptés », soient allongés.
Ainsi, en 2016, Laurence Rossignol, alors ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, confie une mission sur le viol et les délais de prescription au magistrat Jacques Calmettes et à l’animatrice Flavie Flament, violée à l’âge de 13 ans par le photographe David Hamilton et victime d’une amnésie traumatique qu’elle a racontée dans un livre, La Consolation.
Dans leurs recommandations, publiées en avril 2017, les membres de cette mission ont proposé de porter, à partir de la majorité, à trente ans le délai de prescription des crimes sexuels commis sur des mineurs, contre vingt ans, actuellement. A la mi-février, le Parlement a voté un allongement du délai de prescription de dix à vingt ans pour les crimes, et de trois à six ans pour les délits, à partir de la commission des faits. Mais il n’a pas modifié le délai pour les crimes sexuels sur mineurs.
L’article 1 de cette loi laisse toutefois entrevoir une possible reconnaissance législative de l’amnésie traumatique, estime Mie Kohiyama, une victime impliquée dans le combat législatif et judiciaire. Cet article dispose, en effet, que le délai de prescription est interrompu par « tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique ».
Lire l’analyse : Faut-il rendre les crimes sexuels sur les mineurs imprescriptibles ?
Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, a annoncé qu’elle défendrait en 2018 un projet de loi visant à allonger le délai de prescription dans les affaires de viols sur mineurs. « L’objectif est que “l’obstacle insurmontable” soit défini dans la loi comme “une prise de conscience tardive” », explique Mie Kohiyama. L’amnésie traumatique serait alors enfin reconnue par la loi.