La triste histoire d’une maman trop bonne
Donald Winnicott disait des mères qu’elles devaient être «suffisamment bonnes». Voici l’histoire d’une mère qui l’était dramatiquement «trop». «C’est pour ton bien», dit-elle à sa fille en lui faisant courir les consultations médicales. «C’est pour que tu puisses bien montrer au médecin où tu as mal», insiste-t-elle en frappant les flancs de l’enfant à coups de poing. «Un jour Nénette, tu iras ici», lance-t-elle fièrement à sa petite en lui montrant le service des dialyses. «Tu es sûre que ça ne se verra pas?», demande-t-elle à son aîné lorsque tous deux falsifient des résultats d’analyses.
«Je lui ai fait cadeau de mon rein par amour.» Toute petite, Delphine fait de multiples analyses d’urine. Mais la mère ne dit pas que ladite urine a transité par divers contenants avant de rejoindre le flacon auquel elle était destinée, et qu’elle ne peut donc pas être stérile. Quand Delphine a 4 ans, «l’enfer commence»: consultations, hospitalisations, opérations Jusqu’à l’ablation du rein gauche, meurtri par tant d’interventions médicales et les coups de la mère.
Delphine sent que quelque chose cloche, mais comme tout le monde elle fait confiance à sa mère. Qui se méfierait d’une maman capable de soulever des montagnes pour soigner son enfant? Mère admirable⊠Dont nul ne voit qu’elle est elle-même à l’origine du mal. La jeune fille grandit, son mal-être à ses côtés, et parvient à se forger un avenir moins chaotique qu’on n’aurait pu le craindre. Quand elle donne elle-même le jour à une petite fille, l’écume des premières années commence à ressurgir: elle se méfie de sa mère, lui confie son bébé mais avec réticence. Enceinte de son second enfant, elle plonge dans son histoire pour ne pas sombrer dans la dépression, récupère les dossiers médicaux semés au hasard des hôpitaux de la région, rencontre les médecins qui l’ont prise en charge. Et comprend: elle a été victime du «syndrome de Münchhausen par procuration», rare forme de maltraitance dans laquelle la mère provoque la maladie de son enfant pour mieux attirer l’attention du corps médical.
Fil d’Ariane de ses souvenirs, Delphine nous livre les courriers échangés entre les médecins. Beaucoup pourraient se résumer en une phrase: «Cette enfant n’a rien, donc on va l’opérer.» Jusqu’à cette équipe qui s’interroge enfin et parvient à expliquer l’inexplicable: le mal n’est pas dans les reins de la fille, il est dans la tête de la mère. Le calvaire n’est pour autant pas achevé pour Delphine, le juge des enfants n’estimant pas nécessaire de protéger la fillette. Qui n’a alors qu’une hâte: grandir, pour échapper à l’emprise de cette famille qui dysfonctionne.Le livre de Delphine Paquereau est à lire d’une traite. L’écriture est parfois maladroite, certains détails de l’histoire manquent (quid de ce frère aîné tellement haï qu’il n’est pas même nommé? De ce père absent jusqu’au bout? De la justice qui ne protège pas Delphine?). Mais l’essentiel est dans la force d’un témoignage d’autant plus puissant qu’il est rarissime. Delphine Paquereau semble être sortie de son enfer. Espérons que ce livre l’aide à cheminer vers la réparation.