Il est impossible qu’une femme viole un homme. C’est ce que tout le monde croit. “Un type qui ne veut pas, c’est un type qui ne bande pas!”, martèle même le sexologue Jacques Waynberg. Une femme ne pourrait donc pas rendre un homme raide contre sa volonté. D’autant que “la femme est perçue comme un être maternel, doux et protecteur. On l’imagine moins spontanément en bourreau sexuel qu’un homme”, ajoute sa consoeur, Stéphanie Adjémian. La société française a la phallocratie et le sexisme chevillés au corps. Il est encore difficile, si ce n’est inconcevable, d’imaginer un homme adulte abusé sexuellement par une femme.
Pourtant, Pascal a été battu et violé pendant deux ans par une compagne alcoolique. “On ne croit pas les hommes violés, on rit d’eux et on les assaille de moqueries et d’insultes”, se souvient-il. À chaque dispute, elle le cogne, l’insulte, écrase ses cigarettes sur sa peau. Devenu impuissant, il fait l’amour avec des sextoys. Agressive et éméchée, elle lui introduit de force des doigts dans l’anus pour le griffer. “C’est arrivé à six ou sept reprises, une à deux minutes à chaque fois. J’avais mal, je lui demandais d’arrêter, mais elle continuait de s’en prendre à moi”, confie le quinquagénaire.
Si une femme force un homme à la pénétrer, elle n’est pas une violeuse au regard de la justice, mais une agresseuse sexuelle.
Comme Pascal, 5% des hommes déclarent avoir subi des rapports ou tentatives de rapports forcés au cours de leur vie, selon une enquête de l’Agence nationale de recherche sur le Sida (ANRS) de 2006. La plupart sont abusés par des hommes. Mais la part de ceux qui le sont par des femmes pourrait être plus importante que l’on veut bien le croire: des centaines de victimes chaque année dans l’Hexagone. Moins de 10% osent porter plainte et leurs témoignages entraînent généralement suspicion ou railleries.
Contrairement à la France, l’Allemagne ou le Royaume-Uni dédient quelques centres à l’accueil des hommes violés. En juin dernier, l’un des plus grands hôpitaux suédois -l’hôpital Södersjukhuset à Stockholm- a annoncé élargir aux hommes et aux transgenres sa clinique consacrée aux victimes d’abus sexuels, jusque-là réservée aux femmes. En France, le nom même des associations continue d’exclure les hommes: Collectif féministe contre le viol, Stop violences femmes ou encore SOS femmes pour ne citer qu’eux. “Si ces associations ne ferment leur porte à aucune victime selon son genre, le message affiché par leur nom ne facilite pas la démarche des hommes”, déplore Muriel Salmona, psychotraumatologue et auteure de plusieurs ouvrages sur les violences sexuelles.
Le déni général est renforcé par la loi encore floue en la matière. Le code pénal prévoit quinze ans d’emprisonnement en cas de viol, mais les peines effectives sont bien moins élevées. Quand les hommes écopent en moyenne d’une peine de huit ans, les femmes sont condamnées à cinq ans seulement, soit la sanction prévue en cas d’agression sexuelle. La loi définit le viol comme “tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise”. Or, la femme n’est pas pourvue d’un sexe pénétrant. Si elle force un homme à la pénétrer, elle n’est pas une violeuse au regard de la justice, mais une agresseuse sexuelle, idem pour une fellation ou une masturbation contrainte.
Tigresses, femmes en chaleur et nymphomanes
“Cougar”, “nymphomane”, “insatiable prédatrice” qui “épuise” ses victimes. Dans les articles qui traitent du sujet, les termes sont légers, coquins, se veulent drôles. Dans les médias, il n’y a pas de violeuses, seulement des femmes ultra-excitées qui jettent leur dévolu sur d’heureuses proies qui ne sont pas à la hauteur. À l’instar du très sérieux Figaro qui relaie en 2012 l’histoire d’une violeuse récidiviste allemande de quarante ans. Cette dernière a séquestré par deux fois des hommes et les a contraints à avoir de multiples rapports, allant jusqu’à causer à l’un d’entre eux des douleurs l’empêchant de marcher. “Une fois chez elle, la sirène se transforme en tigresse”, écrit le quotidien. Le ton est gênant, raccord avec la salve de commentaires amusés qui glorifient l’article: on se réjouit de trouver un peu de divertissement dans les informations du jour, on congratule l’heureux marathonien du sexe, on veut le numéro de celle qui “tire sur tout ce qui bouge”. Chaud du slip ou bête de sexe: difficile à l’inverse d’imaginer une seconde l’emploi d’un tel jargon dans le cas d’un homme accusé de viol.
L’homme est une figure forte, la victime de viol est faible donc, dans l’inconscient collectif, plutôt une femme. “Le viol masculin perturbe l’image sociétale que l’on a du rapport homme-femme, insiste Stéphanie Adjémian, et son déni découle des inégalités de genre encore très ancrées dans les mentalités. L’idée de l’homme victime fait rire, surtout si son bourreau est une femme.”
“L’érection ne signifie pas le désir”
Dans l’imaginaire collectif, on admet que la gent féminine puisse avoir mal à la tête, le mâle, lui, doit être toujours prompt à dégainer. Pour Stéphanie Adjémian, “les femmes ont un rapport orgueilleux au sexe, elles ne conçoivent pas que leur compagnon puisse ne pas avoir envie d’elles. Face au refus, c’est chantage affectif -“Tu ne m’aimes plus”- ou menaces”. Quand l’homme refuse de coucher, reste l’intervention manu militari. Caresses et préliminaires forcés peuvent alors provoquer l’érection. Pour beaucoup, c’est la preuve que l’homme a envie. “Absolument pas, met en garde le psychanalyste et sexothérapeute Gérard Tixier, l’homme est facilement stimulable, on peut susciter une érection et en abuser. L’érection ne signifie pas le désir, et l’éjaculation pas le plaisir. L’orgasme et l’éjaculation sont des phénomènes dissociés. Même une femme violée peut avoir un orgasme réflexe.”
“Au début, on se dit que ça passera, que c’est de notre faute.”
Au-delà d’une maîtrise physique, le viol masculin est une question d’emprise psychologique. Schéma récurrent: un homme fragile sous la coupe d’une femme dominante. “Au début, on se dit que ça passera, raconte Pascal, que c’est de notre faute. On met l’autre sur un piédestal et on pense qu’il a raison de nous faire du mal parce que l’on ne vaut rien.” Il s’est remis des coups, mais souffre encore d’avoir été humilié, réduit à moins que rien. Par sa compagne d’abord, par les institutions ensuite. “Je me suis défendu trois fois, admet Pascal, jusqu’à lui casser des dents un jour en lui mettant un coup. J’ai expliqué qu’elle me battait, qu’elle me violait et on ne m’a pas cru. Le seul gendarme qui a bien voulu m’écouter me disait qu’il ne pouvait rien pour moi. J’ai été jugé et condamné à six mois de prison avec sursis. Elle, elle n’a jamais été inquiétée.”
Manon Laplace