Périgueux : condamnée plusieurs fois pour violences conjugales, une femme jugée pour meurtre
Il est 1 h 11 heure lorsque Stéphanie, une jeune Guyanaise de 26 ans, compose le 18. En pleurs au téléphone, elle explique à l’opérateur que son compagnon a tenté de se suicider. « Il s’est coupé la gorge crie-t-elle. Il a perdu tout son sang ! » Sirène hurlante, les pompiers se dirigent vers l’appartement de Thierry Bardoulat, le blessé, à Périgueux (Dordogne). Le trentenaire est étendu au sol, la tête au milieu de débris de verre, dans un appartement saccagé. Sa gorge est profondément entaillée.
La compagne de Thierry, « hystérique » selon les soldats du feu, tourne en rond dans l’appartement et glisse dans des flaques de sang tandis qu’ils pratiquent des manœuvres de réanimation. Elle répète qu’il « s’est mis un coup à la gorge ». Mais un détail intrigue les secours. Le sang de la victime est en partie coagulé induisant que la jeune femme aurait attendu un certain temps avant de les prévenir.
Alertée, la police se rend sur place. Stéphanie D. leur indique plus en détail le déroulé des faits. Selon elle, après avoir bu de la vodka avec son ami, il l’aurait violentée puis traînée par les cheveux. Elle se serait alors enfuie et enfermée dans la chambre. À travers la porte, elle aurait entendu des morceaux de verre se briser puis, en sortant, aurait constaté qu’il s’était blessé seul. Elle aurait alors posé sa tête sur un oreiller et immédiatement prévenu les pompiers. Un récit que les limiers jugent peu crédible au regard de l’état de la victime déjà vidée de son sang à l’arrivée des secours et de ses autres blessures peu compatibles avec une tentative de suicide.
« Il avait des hématomes, des lacérations sur le crâne, des plaies de défense sur les bras et les mains. Ses doigts étaient presque sectionnés », détaille Solange Bardoulat, la mère du jeune homme, à Marianne. Évacué vers un service d’urgence, Thierry meurt avant à son arrivée à l’hôpital.
Placée en garde à vue, Stéphanie D. donne une autre version au petit matin. C’est elle qui a frappé Thierry avec un tesson de verre mais par accident et en état de légitime défense. Selon elle, son compagnon était très alcoolisé ce soir-là et l’aurait violemment agrippée avec l’intention de la projeter par la fenêtre. Elle était parvenue à se dégager avant qu’il ne l’attrape par les cheveux. Elle se serait alors saisie d’un tesson de verre renversé durant leur lutte et aurait frappé derrière elle au hasard pour qu’il cesse de la maintenir. C’est en se retournant, après qu’il l’ait lâchée, qu’elle avait remarqué que sa gorge saignait abondamment.
L’autopsie révèle que le jeune homme est mort « des suites d’une hémorragie massive » due à « la section de l’artère carotide ». Le médecin légiste confirme, par ailleurs, la présence d’autres blessures au thorax et sur le visage de la victime alors que Stéphanie D. présente « des lésions plutôt superficielles récentes ».
Dans l’immeuble, l’enquête permet rapidement d’établir que depuis l’emménagement en mai 2018 de Stéphanie D. chez Thierry Bardoulat, des disputes et cris émaillent quotidiennement leur relation. Au point que la police est déjà intervenue à plusieurs reprises au deuxième étage de la résidence où vit le jeune couple rencontré à peine quelques jours plus tôt sur un site Internet dédié.
« On a découvert leur relation compl��tement par hasard un jour où je suis venue rendre visite à mon fils. Elle était là dans l’appartement et avait installé toutes ses affaires dans la chambre. Elle est restée à l’écart, elle ne souhaitait visiblement pas de contact, elle était fuyante », se souvient Solange Bardoulat.
Compte tenu du handicap du jeune homme et d’une certaine détresse psychologique associée, sa mère se réjouit que son fils ait trouvé une compagne. Thierry Bardoulat souffre en effet d’une spondylarthrite ankylosante, une maladie inflammatoire des articulations, qui l’empêche de se mouvoir à sa guise et le fait souffrir constamment particulièrement au niveau de ses jambes et du bassin.
Mais entre eux, la cohabitation devient vite un enfer. Sur fond d’alcool, le couple se déchire et la violence s’exerce presque chaque jour. « Un jour, Thierry m’a appelée à 7 heures du matin parce qu’il était à la rue. Il m’a dit qu’elle l’avait frappé à la tête avec une bouteille puis elle avait saccagé tout l’appartement. Les rideaux étaient lacérés, les meubles cassés et il y avait des trous dans le mur, à hauteur d’homme. »
Des violences répétées, en attestent les éclats de voix réguliers entendus par les voisins, et principalement exercées par Stéphanie D. selon les proches de la victime et leurs conseils. « Il suffisait qu’il parte quelques minutes faire une course et dès qu’il passait la porte, il pouvait recevoir une chaise dans la figure sans raison. C’étaient des explosions de violence régulières, récurrentes », explique Solange Bardoulat.
« Elle est comme un volcan capable d’imploser à chaque instant. Elle avait des crises imprévisibles et incontrôlables », ajoute maître Lionel Béthune de Moro à Marianne. « Les violences étaient exercées de part et d’autre nuance maître Christian Blazy, l’avocat de Stéphanie D. Le handicap de monsieur Bardoulat était concentré sur ses jambes et il disposait de la même force que tout le monde au niveau du haut de son corps pour lui aussi exercer des violences. Et leur alcoolisme était partagé. Ils buvaient tous les deux tous les jours. »
Quelques semaines avant la mort de Thierry, le couple est alors séparé et Stéphanie s’en prend à lui. « Début août, il avait mis un terme à leur relation et elle était furieuse. Un jour, elle l’a attendu en bas de chez lui et lorsqu’il est sorti, elle l’a agressé. » Thierry Bardoulat dépose plainte pour violences aggravées. Quelques jours plus tard, il lui signifie dans un message de détresse qu’il préfère se suicider plutôt que de vivre sans elle. Ce à quoi elle répond : « Soit tu te suicides, soit c’est moi qui vais te tuer… »
« Tous les deux étaient dépendants l’un de l’autre. Lui parce qu’il souffrait d’isolement social du fait de son handicap et elle parce qu’elle avait besoin d’un logement et d’être entretenue puisqu’elle était sans ressource », analyse maître Oriane Chevallier, avocate de la partie civile. Thierry Bardoulat accueille donc à nouveau sa compagne chez lui jusqu’à cette tragique nuit du 12 septembre 2018. « Je lui avais dit “ne fais pas revenir le loup dans la bergerie, elle va finir par te tuer” », regrette Solange Bardoulat.
Après le drame, l’enquête permet d’apprendre que Stéphanie D. a déjà été condamnée à plusieurs reprises pour violences conjugales sur d’anciens compagnons. « J’ai fait que me défendre », explique-t-elle. « Ces hommes qu’elle a tous rencontrés sur le même site Internet étaient des bras cassés. Sa relation avec Thierry Bardoulat est similaire, ils étaient deux êtres perdus dans un même contexte de misère humaine. Ma cliente n’est pas un monstre qui a sciemment tué son compagnon », affirme maître Blazy à Marianne.
Le 6 septembre 2021, son procès s’ouvre devant la cour d’assises de la Dordogne pour « meurtre aggravé sur conjoint et personne vulnérable », une qualification pour laquelle la famille du défunt s’est battue, faisant appel de la décision du juge d’instruction. « Nous refusions qu’elle soit jugée pour de simples violences car nous avons la conviction qu’elle voulait le tuer. »
Durant trois jours, l’accusée plaide la légitime défense. « C’était pas intentionnel, c’était un accident explique-t-elle dans le box des accusés. Je souhaite demander pardon à la famille. Au fond de moi, je purge une peine à perpétuité pour avoir été à l’origine de cet acte. Je regrette. » Mais pour l’avocat général, l’intention de tuer est indiscutable. « Elle utilise un objet qui devient létal, le coup est répété, la victime porte de multiples plaies – au moins six – qui atteignent parfois les os. Et il y a la force du coup : jusqu’à 4,5 cm de profondeur. Ce n’est pas un mauvais coup, c’est un égorgement », développe-t-il dans son réquisitoire.
Les témoignages de six anciens compagnons enfoncent le clou et mettent un peu plus à mal la défense de l’accusée. À la barre, ils évoquent successivement le caractère explosif de leur ex-compagne, capable de les frapper avec tout ce qui se trouvait à sa portée : couteau, planche, fer à repasser, tire-bouchon. « Chacun d’eux aurait pu subir le même sort que Thierry Bardoulat », assure maître Béthune de Moro. « Eux ont pu fuir, pas mon fils à cause de son handicap », ajoute la mère de la victime.
À l’issue de trois heures de délibérés, les jurés condamnent Stéphanie D. à 24 ans de réclusion criminelle. Maître Blazy indique aussitôt son intention de faire appel et manifeste son indignation. « Si une pauvre fille comme ça est condamnée à 24 ans d’emprisonnement, dans un contexte d’alcoolisation et sans préméditation, quelle peine reste-t-il pour les pires criminels ? »
À l’audience d’appel devant la cour d’assises d’Angoulême, l’avocat plaidera à nouveau l’absence d’intention meurtrière de sa cliente. « Nous ne contestons pas sa violence, ni sa dangerosité potentielle, nous ne discutons pas qu’elle a porté un coup ce soir-là, mais rien dans le dossier ne prouve sa volonté de le tuer ni ne permet de savoir ce qui s’est réellement passé. Nous espérons être entendu par la Cour. »
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