Où commence la violence ?
Pour Danielle Dalloz, la violence n’est pas une fatalité : il est possible de la prévenir dès la petite enfance.
L’enfant se construit dans la relation ; ses premières expériences déterminent sa perception du monde. S’il est important de lui apprendre qu’il y a une loi et de lui fixer des limites, il est essentiel de s’interroger sur les conditions dans lesquelles il grandit depuis sa naissance. Rythmes imposés, pression de la vie en collectivité, nécessité de devoir s’adapter à un monde d’adultes… : autant de violences qui mettent en péril son épanouissement et se répercuteront sur ses rapports avec les autres.
À partir de l’enseignement de Françoise Dolto, Danielle Dalloz nous invite à repenser notre façon d’être avec les enfants. Car si la violence subie dans la petite-enfance resurgit à l’adolescence, l’apprentissage du respect génère le respect.
Il est courant d’entendre dire que la violence est un mode relationnel qui s’est à la fois rajeuni et banalisé. On trouvera dans le dernier livre de Danielle Dalloz une réponse tout à fait passionnante. L’auteur, en effet, n’hésite pas à situer l’origine de cette situation dans la violence de plus en plus précoce que subit l’enfant. Cela commence par l’entrée à l’école maternelle, dès les 2 ans. Proposer un accueil collectif à un âge où l’enfant a encore besoin de l’intimité et de la sécurisation du milieu familial, constitue une agression inouïe. L’obliger à être propre avant que sa maturation physiologique ne le lui permette, le contraindre à partager avant qu’il ait une véritable conscience de lui-même, c’est le préparer au refus de l’autre et à la révolte face à toute règle collective.
Cela continue lorsqu’une hospitalisation est nécessaire : trop souvent, l’enfant est perçu comme porteur d’un symptôme, alors qu’avant de bénéficier d’un soin, il a surtout besoin de recevoir un regard et une écoute et d’être destinataire d’une parole. Car, si le bébé est introduit dans l’humanité, c’est au travers de la médiatisation par la voix : « Plus nous enrichissons le vocabulaire d’un enfant, plus nous l’humanisons, plus nous lui offrons la possibilité de penser avant d’agir » (p.64).
Mais comment lui permettre d’entrer dans la communication, si on lui colle en permanence une tétine ? C’est tellement plus simple de fermer l’orifice qui crie plutôt que de prendre le temps de parler, d’écouter, d’accompagner un chagrin et de consoler. D’autant que l’acte de téter créant une sécrétion d’endorphine qui euphorise et engendre une sensation de bien-être, la tétine permet donc à l’enfant de combler sa souffrance, mais en se refermant sur lui. L’entourage du bébé semble surtout préoccupé d’éviter toute frustration pouvant déclencher ses colères. Mauvaise pioche ! Tout au contraire, il est nécessaire qu’il soit confronté aux limites et aux repères. S’il peut tout faire, tout toucher, tout prendre sans la butée de l’interdit, le monde ne se différenciera pas pour lui. Il restera dans un chaos pulsionnel et sera prisonnier de ses tensions. Loin de le quitter facilement, la colère deviendra un mode relationnel, la violence surgissant alors du seul fait que le parent ne satisfait pas à sa demande.
Autre source de difficulté, une symbiose prolongée entre la mère et son enfant qui peut provoquer une haine cherchant à faire imploser cette dualité enfermante. Car « si toute vie commence par une aliénation à l’autre, toute vie ne peut prendre son essor, sa mesure qu’en se désaliénant de l’autre » (p. 52). Il faut apprendre à se séparer, non pour soulager l’adulte tutélaire, mais pour vivre la fierté et la jubilation de s’assumer seul. Élever un enfant c’est l’aider à s’autonomiser et ne pas le blâmer pour ses comportements mal ajustés, mais l’aider à les dépasser.