« On nie la possibilité qu’une femme puisse être violente, il y a une pénalisation de l’homme et une victimisation de la femme, analyse Victoria Vanneau, historienne du droit et auteure de La paix des ménages, histoire des violences conjugales, XIX-XXIe (Éditions Anamosa). Mais à l’époque, on disait aussi que les femmes battues étaient marginales. » Preuve que les hommes ne sont pas encore entendus, l’association SOS Hommes battus, seul acteur dans le domaine en France, a mis « ses activités à l’arrêt » après sept ans d’existence, comme elle l’explique sur son site. « L’association n’a plus les moyens d’entreprendre quoi que ce soit », faute de budget suffisant mais aussi « parce qu’il est épuisant de crier dans le vide actuel ».
Les hommes victimes de violences conjugales ont accès au droit commun, ils peuvent déposer plainte, ils ont droit à un procès équitable, assure-t-on au ministère des Droits des femmes. Ils peuvent également bénéficier des dispositifs mis en œuvre dans le cadre du plan violences 2014-2016 : appeler le 3919 pour être écoutés et orientés par des professionnels formés, rencontrer les intervenants sociaux en commissariats, etc. » Si le dispositif paraît facile à suivre, en pratique, il ne suffit pas. « Ils ont accès à tout sur le papier. En vrai, ils n’ont accès à rien », tranche Victoria Vanneau. L’arrivée des mouvements féministes dans les années 70-80 donne une existence médiatique aux violences conjugales. Mais uniquement celles exercées par l’homme envers la femme.
« Le sort des hommes battus n’est pas une préoccupation, alors que les femmes sont un enjeu électoral, note l’historienne. Pour que leur cas fasse l’objet d’une prise de conscience, il faut que des associations s’emparent de ce phénomène social, qu’elles l’érigent en ” juste cause ” afin que les politiques en fassent une cause électoraliste ».
Pour Geneviève Djenati, psychologue des couples et des familles, « il y a toujours cette idée qu’un homme n’est pas un homme s’il se fait taper par une femme. Ces femmes violentes ont souvent subi des violences banales, elles reproduisent ce qu’elles ont vu petites, même si elles ne le veulent pas, estime-t-elle. Cela découle de l’enfance. »
Si la France fait figure de mauvais élève, elle n’est pas la seule en Europe. Alors qu’en 2014 est réalisée la première étude européenne sur les violences faites aux femmes, pas un mot sur celles faites à leurs égaux masculins. « Malheureusement, nous n’avons pas étudié les hommes victimes de violences conjugales à l’échelle européenne, et à ma connaissance, cela n’a jamais été fait au niveau européen, reconnaît un membre de l’Institut européen pour l’égalité des genres (EIGE). Quelques États membres ont conduit leurs propres études mais elles ne sont pas comparables. »
Ainsi, en 2014 au Luxembourg, 62,4 % des victimes sont de sexe féminin et 37,6 % de sexe masculin. En Pologne, en 2013, 67% des personnes concernées par des violences au sein de la famille étaient des femmes et 11% des hommes, les autres victimes étant des enfants. Et l’on ne voit là que la partie émergée du problème. À l’instar des données françaises, ces études nationales sont à relativiser. Les statistiques ne représentent qu’une partie des victimes concernées : celles comptabilisées par la police, pour lesquelles une plainte a été déposée ou une procédure est en cours.
Outre-manche, les chiffres sont différents. « En Angleterre, on estime à 40% le nombre d’hommes victimes, pour 60% de femmes », détaille John Mays, président de l’ONG britannique PARITY, qui défend l’égalité des droits entre hommes et femmes. Nous touchons de plus en plus les gens, mais c’est un long combat, il reste beaucoup à faire. » Pour atteindre un public plus large, et mieux faire comprendre ces violences faites aux hommes, l’association prône une meilleure information. « On essaie d’expliquer comment ces violences conjugales peuvent être possibles, on sensibilise avec des campagnes de prévention », détaille-t-il. L’association met en place une ligne d’écoute, et demande à ce que les foyers d’accueil, encore majoritairement réservés aux femmes, se développent aussi pour les hommes.
En Belgique, c’est désormais chose faite. Un centre d’accueil a ouvert ses portes en mars 2015 dans la région de Malines, dans la partie néerlandophone du pays. « Il se compose de deux studios dans lesquels les hommes peuvent rester jusqu’à six mois, explique Helen Blow, responsable communication de l’organisation Steunpunt Algemeen Welzijnswerk. Ils reçoivent une aide psychologique pour gérer le traumatisme, mais aussi pour mieux appréhender le retour à la vie seul, à l’indépendance. » Exclusivement réservé aux hommes victimes de violences conjugales, ce foyer payant (25 euros par jour) reprend les modèles déjà existants en Allemagne ou en Suisse.