“Ma mère m’a maltraitée pendant toute mon enfance, mais je m’en suis sortie”
“Chaque jour, en France, deux enfants meurent sous les coups. Moi, j’ai la chance d’être toujours vivante. Car, à maintes reprises, j’aurais pu faire partie de cette statistique”, assène Leïla, la voix posée. Aujourd’hui, maman de deux grandes filles et éducatrice spécialisée, Leïla, 43 ans, a décidé de percer l’abcès et d’écrire un livre (Le désamour, de la maltraitance à la résilience, éd. Michalon). “Comme j’étais encore vivante pour parler, un jour, je me suis plantée devant ma mère, une personne que je n’ai jamais appelée “maman” et je lui ai demandé : “Je voudrais savoir pourquoi, pendant des années, tu m’as battue, maltraitée, enfermée dans le placard, mal habillée, mal nourrie.” Elle m’a rétorqué : “Mais tu vois, tu t’en es sortie.”
Sa mère ne lui laisse manger que les restes, l’empêche d’aller aux toilettes…
Issue d’une famille de quatre filles élevées par une maman solo, Leïla est le vilain petit canard de la famille, la seule à subir la rage d’une mère toute-puissante. Leïla mange les restes des repas, porte les vêtements usés de ses sœurs, passe des heures punie dans le cellier froid et sans lumière, encaisse les coups et les humiliations, comme prendre son bain la dernière dans une eau souillée ou l’interdiction d’aller aux toilettes. “Avec le temps, la maltraitance est allée crescendo. Enfant, je ne dénonçais pas la maltraitance, car mon souhait était que ma mère m’aime comme mes sœurs. Jusqu’à ma majorité, j’ai espéré que ce jour arrive. En vain.” Après l’école, Leïla traîne alors le plus tard possible pour gagner du temps. “Ce fut peut-être mon salut. Car, au fil du temps, j’appréciais d’être dehors.” A l’entrée du Shopi de son quartier populaire de Douai, Leïla propose aux anciens de les aider à porter leurs sacs. “Je ne demandais jamais rien, mais ils me proposaient souvent une boisson chaude et une part de gâteau, parfois une pièce. Ils me racontaient leur vie et leurs peines et, moi, j’oubliais la mienne.”
Un calvaire qui aurait pu être évité
Leïla se lie d’amitié avec des gens de tout âge. “Je ne parlais jamais de mes problèmes. J’ai eu la chance de rencontrer de bonnes personnes qui, avec peu, m’ont donné humainement beaucoup. Comme la mère d’une bonne copine de classe qui, malgré ses onze enfants, avait toujours une place pour moi à table.” Un calvaire qui aurait pu être évité. De 17 à 26 mois, Leïla avait été placée dans une famille d’accueil qui voulait la garder. Mais sa mère l’a récupérée. “Quand j’ai retrouvé Irène et son mari Nicolas, tout le monde semblait me connaître et être content de me revoir. Ils m’ont montré des photos de moi enfant. Ma mère n’en avait aucune de moi. Ils m’avaient appris à marcher, la propreté… Je les appelais “papa” et “maman”, des mots que je ne prononçais jamais chez moi. Quand je leur ai confié que ma mère me maltraitait, ils étaient effondrés.”
“J’ai réalisé que j’allais devoir élever mes filles sans aucune base d’amour maternel”
Même si elle a conscience que son enfance aurait pu être bien différente, Leïla n’a pas de regrets. Son ultime électrochoc sera la naissance de ses deux filles. “J’allais devoir les élever sans héritage affectif, sans aucune base d’amour maternel. J’étais prête à innover ! Ce fut ma résilience.” Un sacré défi, qu’elle a relevé avec succès. ” J’ai repris mes études pour devenir éducatrice spécialisée. Ce fut comme une renaissance, j’avais 30 ans. Comme quoi, il n’est jamais trop tard !” Leïla a parlé du contenu de son livre à sa mère. “Je suis encore surprise de sa réaction. Elle m’a remerciée de l’avoir dénoncée ! Aujourd’hui, elle se demande pourquoi elle a été aussi mauvaise avec moi !”