“Les violences sexuelles sont une épidémie à éradiquer” Daphné Mongibeaux
Le Sénat examinera mercredi 28 mai une proposition de loi de Muguette Dini et Chantal Jouanno qui modifie le délai de prescription des viols et agressions sexuelles en prenant en compte l’amnésie post-traumatique de la victime. Le docteur Violaine Guérin, présidente de la très active association « Stop aux violences sexuelles », endocrinologue et gynécologue médicale, demande l’imprescriptibilité des faits pour toutes les victimes de violences sexuelles.
Paris Match. Pourquoi vous êtes-vous intéressée aux violences sexuelles ?
Violaine Guérin. C’est en voulant comprendre les pathologies de mes patients, en leur faisant trouver du sens, que je suis très souvent remontée à des violences sexuelles. On connaît bien les conséquences psychologiques des violences sexuelles mais on minimise encore les dégâts qu’elles entraînent dans le corps. Il y a de plus en plus de communications médicales sur le sujet dans le monde mais nous sommes encore très en retard en France.
Quelles pathologies présentent les victimes de violences sexuelles ?
Cela peut se traduire par des maladies auto-immunes. Le corps se met à fabriquer des anti-corps contre lui-même, sur le plan symbolique c’est de l’auto-agression. Les douleurs pelviennes pour les femmes, l’anorexie pour celles et ceux qui ont eu à pratiquer des fellations, les psoriasis, la stérilité, les pathologies ORL et rectales pour les hommes, les cancers du sein, de l’utérus, des testicules et d’autres maladies chroniques peuvent être l’expression de ces violences. Ces symptômes interpellent car le corps s’exprime par où il a souffert et appelle à la réparation. C’est pourquoi, au même titre que l’on demande à un patient s’il fume lors d’un premier rendez-vous, on devrait lui demander s’il a subi dans sa vie des violences physiques, morales ou sexuelles. Même s’il ne répond pas tout de suite, le dialogue est ouvert et il sait qu’il pourra en parler le moment venu.
Ces suivis médicaux et les traitements qui s’en suivent coûtent des milliards par an à la Sécurité Sociale. Il vaudrait mieux mettre cet argent dans la prévention et la réparation. Avec « Stop aux violences sexuelles », nous voulons que les parcours de soins – les psychothérapies et les thérapies corporelles qui sont indispensables dans le parcours de réparation- soient remboursé à 100% par la sécurité sociale, et que les violences sexuelles fassent l’objet d’une ALD 31.
Vous ne faites pas de différences entre attouchement et viol, pourquoi ?
Car très souvent les attouchements font les mêmes dégâts que le viol. Aussi, certaines victimes préfèrent parler d’attouchement alors qu’elles ont été violées, elles n’osent pas poser le mot. Il ne faut pas oublier non plus que les conséquences d’un même geste peuvent être totalement différentes d’une personne à l’autre.
Vivre des violences sexuelles c’est comme une bombe à fragmentations. Une patiente me disait il y a une semaine que ça avait été « Hiroshima » pour elle. C’est une explosion de l’âme. La vie se brise. Pour les enfants, il peut y avoir des ruptures scolaires brutales. Si le crime n’est pas réparé, les personnes qui en sont victimes sont comme des morts-vivants. Les effets sont aussi différents en fonction des personnes et des situations: la victime va-t-elle pouvoir en parler, les violences se passent-elles dans la famille ? Dans tous les cas, ça réalise des dégâts colossaux.
Vous parlez d’une « épidémie de type virale »…
Quand on regarde les chiffres – en France une femme sur quatre et un homme sur six ont été victimes de violences sexuelles -, il s’agit d’une épidémie. Son caractère « viral » est relatif à l’ampleur des dégâts car, comme un virus détruit le cœur des cellules, les violences sexuelles détruisent les gens au plus profond d’eux-mêmes. Par ailleurs, ça prolifère. La plupart des agresseurs sont en effet d’anciennes victimes qui transfèrent leur agressivité.
C’est pourquoi nous voulons imposer une stratégie de type « vaccinale ». Notre plan d’action de santé publique qui s’étale sur cinq ans consiste à éradiquer les violences sexuelles en imposant la tolérance Zéro et en rendant les crimes sexuels imprescriptibles.
Comme les crimes contre l’humanité ?
Ce n’est effectivement pas possible en terme de définition juridique car cela ne s’applique qu’à un groupe de personnes qui s’acharne à détruire un autre groupe, ce qui n’est pas le cas ici, mais concernant l’ampleur des dégâts il s’agit bien d’un crime contre l’humanité, et l’humain.
Qu’attendez-vous donc de la proposition de loi qui devrait être votée au Sénat mercredi prochain ?
La proposition de loi portée par les Sénatrices Muguette Dini et Chantal Jouano doit permettre de prendre en compte les mécanismes d’amnésie, en particulier chez les enfants victimes de violences sexuelles qui n’ont plus de souvenirs car ils sont mis en place différents mécanismes de protection. Pour ces personnes, les faits ré émergent souvent après la quarantaine mais il est trop tard car les délais de prescription pour un viol sont au maximum de vingt ans après la majorité, soit trente-huit ans. Il y a donc un déni de justice qui permet aux prédateurs de continuer d’agir. Les législateurs sont conscients qu’il y a un problème d’accès à la justice pour ces personnes, mais ils s’inquiètent de la cohérence des peines et craignent une déferlante de plaintes difficile à gérer…
Le témoignage d’Olivier Demacon, responsable des témoins de l’assocation “Stop aux violences sexuelles”, 50 ans, pilote et victime de violences sexuelles à l’âge de 10 ans
https://www.parismatch.com/Actu/Societe/Les-violences-sexuelles-sont-une-epidemie-a-eradiquer-566074