Les agresseuses sexuelles, une problématique taboue et sous-estimée par Olivier Kaestlé
Le sujet est tabou, meilleure raison pour en parler. Sans doute parce qu’elles restent sous représentées en comparaison de leurs « confrères » masculins, les agresseuses sexuelles attirent peu l’attention des médias. Il faut dire que ces derniers, d’une campagne de « sensibilisation » à une autre, ne savent représenter les femmes qu’en tant que victimes d’agressions sexuelles. Le rôle de prédatrices leur est rarement reconnu.
Je n’ai pas de statistiques sur le sujet, mais je note une nette surreprésentation médiatique de cas d’agressions sexuelles impliquant des femmes dans la presse anglophone en comparaison de sa contrepartie francophone. Les médias d’expression française sont-ils plus frileux sur le sujet ou les femmes francophones, plus vertueuses ?
Il faut dire qu’avec nos voisins du Sud, caractérisés par un bassin de population dix fois supérieur à celui du Canada, les « chances » de tomber sur une manchette impliquant une prédatrice, le plus souvent une enseignante au secondaire, restent nettement plus élevées. En Grande-Bretagne, le Daily Mail s’est fait une spécialité de débusquer des cas impliquant des agresseuses, au grand dam des néo féministes britanniques.
Qu’en est-il chez nous ?
Des données présentées par deux chercheuses de l’UQÀM, Monique Tardif et Jo-Annie Spearson, confirment la perception généralement répandue voulant que les femmes soient sous représentées parmi les agresseurs sexuels. Une statistique datant de 2010 fait état d’un pourcentage de 4 % des personnes présumées responsables d’infractions sexuelles.
Il faut préciser que ce chiffre s’appuie sur des cas signalés aux autorités. Peut-on appliquer à ces signalements la « statistique » voulant que 90 % des victimes ne dénoncent pas ? Je doute que nos militantes s’aventurent sur cette voie quant à des prédatrices.
Par ailleurs, les victimes masculines, surreprésentées parmi les jeunes victimes d’agressions sexuelles commises par des femmes, sont peu portées à dénoncer. Dans cette perspective, une chercheuse de l’université de Montréal, Franca Cortoni, avait réalisé une étude faisant étant d’une importante sous-estimation des prédatrices sexuelles.
12% des agressions sexuelles
Elle avait déclaré dans Le Devoir du 30 mai 2017 :
« Dans les données officielles, on constate qu’environ 2 % des crimes sexuels rapportés à la police sont commis par des femmes. Mais quand on demande aux victimes le sexe de leur agresseur, on est à 12 %. »
Six fois plus d’agresseuses, donc. Sans affirmer qu’il s’agisse d’agressions non dénoncées, nous ne sommes tout de même pas loin de 90 % de prédatrices non reconnues en tant que femmes…
Les constats des chercheuses de l’UQÀM sur la violence sexuelle exercée sur des mineurs par des femmes sont troublants :
« Les résultats d’une vaste enquête américaine5. établissent que 40 % des hommes ayant été victimes d’agression sexuelle pendant leur enfance rapportent que leur agresseur était de sexe féminin, contre 6 % des femmes. Parmi ces victimes, 20,8 % des hommes contre 2 % des femmes indiquent que la femme a agi seule. Pour d’autres situations, la femme est passée aux actes avec un complice masculin envers 18,3 % des hommes victimes contre 3,6 % des femmes. »
Des données à revoir
Bien que les universitaires citent Franca Cortoni ailleurs dans leurs constats, on ne trouve pas trace de ses conclusions sur la sous-estimation du nombre des agresseuses, puisqu’elles n’étaient pas encore connues :
« Deux études rétrospectives portant sur la victimisation sexuelle pendant l’enfance, auprès de 365 adultes ayant été victimes6. et de 511 cas d’agression sexuelle subie avant l’âge de 12 ans7, signalent respectivement que 3 et 5 % des auteurs d’agression sexuelle sont des femmes; ces taux sont similaires aux données plus récentes des dossiers judiciaires et policiers. »
Nous nous trouvons donc loin du 12 % de Mme Cortoni. Mais comment se fier aux chiffres avancés par les deux chercheuses quand elles-mêmes affirment :
« Les femmes qui ont agressé sexuellement de jeunes enfants sont souvent non judiciarisées et plutôt dirigées vers des services d’aide ou de traitement par les intervenants des services de la protection de la jeunesse. »
Si elles sont non judiciarisées, se peut-il qu’elles se dérobent aux compilations statistiques ?
Peu de connaissance sur le sujet
Dans une telle perspective, le chiffre de 3 et 5 % pourrait alors bien être inférieur à ce qu’il serait si toutes les agresseuses étaient reconnues responsables de leurs actes. Les chercheuses admettent d’ailleurs la non-fiabilité de leurs données :
« Dans la plupart des études actuelles, les femmes ayant commis des agressions sexuelles ont un dossier criminel, il y a donc une sous-représentation de femmes qui victimisent de jeunes enfants et donc peu de connaissances sur ce groupe en particulier9. »
Elles ajoutent :
« La rareté de données sur les femmes qui agressent de jeunes enfants (âgés de moins de 6 ans) est préoccupante et accroît le risque, pour les intervenants, d’ignorer les signes précoces de victimisation ou de généraliser de façon erronée les connaissances actuelles. »
« On est vraiment au début des recherches »
Mme Cortoni confirme cette perception :
« (…) Mais on est vraiment au début des recherches. Il y a des choses qui commencent à se dessiner, mais on est loin d’avoir la compréhension qu’on a pour les hommes, sur lesquels on fait des recherches depuis des décennies. »
La prolifération de cas impliquant des enseignantes au secondaire « aide » à la reconnaissance des agressions sexuelles commises sur des mineurs, mais on se heurte à une problématique de double-standard, comme le précise Mme Cortoni :
« Il y a un changement qui se fait graduellement dans la société. Si on prend l’exemple d’un enseignant de 35 ans qui s’engage dans des contacts sexuels avec une fille de 14 ans, personne n’hésite à dire que ce n’est pas correct. Mais quand on tourne ça à l’inverse, une femme avec un garçon, on dit : “Mais oui, mais les garçons aiment ça”. »
En conclusion
C’est encore à Mme Cortoni que je laisserai le mot de la fin :
« Il faut qu’il y ait une reconnaissance du fait qu’il y a des femmes qui commettent des agressions sexuelles, que ça existe et que ça a toujours existé. Présentement, il y a des victimes qui ne sont pas reconnues et, franchement, comme société, on leur doit au moins ça. »
Je n’aurais su dire mieux…
Diplômé d’un baccalauréat en littérature française (Université du Québec à Trois-Rivières) et d’un certificat en journalisme (Université Laval), Olivier Kaestlé a commencé à s’exprimer dès 2006 dans les tribunes d’opinion sur une pléthore de sujets. C’est en créant son blogue en 2009 qu’il a choisi de se consacrer presque exclusivement à la condition masculine et à la dénonciation des injustices et iniquités vécues par les hommes et les garçons, tout en se vouant à la lutte à l’intégrisme religieux, qui menace de plus en plus les femmes et les filles ayant la chance de vivre selon les valeurs civilisées du Québec. Olivier a également co-animé avec Lise Bilodeau l’émission « Tant qu’il y aura des hommes… » sur les ondes de Radio Média Plus.ca.