Le tabou de la violence conjugale chez les couples homosexuels
Interrogez plusieurs associations LGBT sur la violence conjugale chez les homosexuels, et vous obtiendrez peu ou prou la même réponse: le problème existe, c’est important d’en parler, mais… c’est compliqué.
D’abord parce qu’on manque de chiffres, d’une étude de référence qui établirait clairement la situation en France. Et puis parce que le timing est mauvais.
En plein débat sur la mariage pour tous, votre demande «interpellera», on se demandera «quel est l’intérêt d’un tel angle de papier en ce moment». Mais une fois que vous aurez montré patte blanche, que vous aurez prouvé que vous ne souhaitez pas écrire un article réactionnaire destiné à plomber le mouvement LGBT, alors le ton changera et on vous l’avouera franchement: la violence conjugale est un véritable problème chez les homosexuels.
Deux fois plus de violences conjugales chez les homosexuels?
Reste qu’il est difficile de trouver des interlocuteurs qualifiés. Personne ne se penche sérieusement sur le sujet en France. Il a bien existé pendant quelques années une association qui luttait contre les violences au sein des couples lesbiens, Air Libre, mais elle n’est plus active.
Il faut donc traverser l’Atlantique pour trouver une documentation plus fournie. Une étude de Statistique Canada indique par exemple qu’au cours de l’année 2004, 15% des gays et des lesbiennes ont été victimes de violences conjugales contre 7% des hétéros.
Selon le site rezosante.org, certains chercheurs américains considèrent même que la violence conjugale est le 3e problème de santé chez les homosexuels, après le VIH et la consommation de drogue.
Difficile donc de penser que la réalité soit différente en France. Preuve en est ce questionnaire mis en ligne par le site communautaire yagg.fr en 2011. 84% des personnes qui ont répondu étaient lesbiennes et 18% ont affirmé avoir déjà été victimes de violences conjugales.
Alors pourquoi cette difficulté à communiquer sur le sujet? Elodie Brun, coordinatrice de la Lesbian and Gay Pride Montpellier (LGPM) l’explique facilement:
«Les associations LGBT ont peur de réactiver les clichés, comme celui de la lesbienne camionneuse. Elles ne souhaitent pas donner de grain à moudre à leurs détracteurs.»
Mais Elodie Brun n’est pas d’accord avec cette stratégie. Dans ses bureaux, à Montpellier, des affiches traînent depuis un an et demi. Ce sont des prototypes pour une campagne d’information. Leur slogan:
«La violence chez les homosexuels, plus qu’un mythe, une réalité.»
La LGPM a décidé de s’emparer du problème, mais «c’est difficile de trouver le ton juste», avoue sa coordinatrice.
«Elle m’a poussé à bout»
Elodie Brun est d’autant plus concernée par ce sujet qu’elle même a eu une compagne avec un lourd passé de violences conjugales. Avant de devenir la copine d’Elodie à 35 ans, Pauline* n’avait tout simplement jamais connu de relations exemptes de violences physiques. Elle justifiait ces violences par le même argument que les hommes hétérosexuels utilisent souvent pour expliquer pourquoi ils battent leurs femmes: «Elle m’a poussée à bout.»
Cette femme avait vu, enfant, son père battre très violemment sa mère. Plus tard, elle a reproduit ces gestes, relation après relation. Jusqu’à ce qu’elle rencontre Elodie et qu’elle puisse évacuer cette violence par la parole. Elle ne sont plus ensemble aujourd’hui, mais Pauline n’a semble-t-il jamais recommencé à frapper ses compagnes.
Elodie Brun a été marquée par une anecdote qui montre bien la lourde chape de plomb qui pèse sur les violences conjugales. Quand elle était encore avec Pauline, elle a subi une agression dans la rue. Son visage a porté la trace des coups pendant plusieurs jours. Le milieu LGBT de Montpellier, connaissant la réputation de Pauline, a cru que celle-ci «recommençait». Mais pas une personne n’a osé demander ce qu’il s’était passé.
Pourtant il s’agit là d’un milieu militant, qui lutte contre les violences subi par les LGBT. Mais quand celles-ci proviennent des LGBT eux-mêmes, le silence est aussi écrasant que chez les hétéros.
La violence conjugale, c’est un homme qui bat une femme
Il faut dire que s’il est difficile pour tout le monde d’aller chercher de l’aide ou de porter plainte après avoir été victime de violences conjugales, la situation est encore plus compliquée pour les homosexuels. Ils ont peur de ne pas être pris au sérieux par la police ou par les associations.
Certains trouvent difficile d’avouer leur homosexualité devant des inconnus. Et puis, pour ceux qui ont du mal à assumer leur orientation sexuelle et qui vivent leurs vies en dehors des réseaux LGBT, la peur de perdre son conjoint est encore plus forte: cela signifierait devoir tout recommencer, se retrouver seul et devoir retrouver quelqu’un d’autre dans une société qui n’est pas, loin s’en faut, parfaitement tolérante envers l’homosexualité.
Enfin, dans l’imaginaire collectif, la violence conjugale c’est un homme qui bat sa femme. Ce qui sort de ce schéma est rarement évoqué, même si le fait que les femmes aussi peuvent être violentes envers leurs conjoints fraie doucement son chemin dans l’univers médiatique. Reste finalement à comprendre que la violence peut-être exercée par tous sur tous, quel que soit le sexe ou l’orientation sexuelle.
Une violence physique mais aussi psychologique
La situation est plus avancée au Canada. Le Centre de Solidarité Lesbienne a par exemple mis en ligne un court métrage informatif qui présente bien la situation:
Tout y est: la violence physique mais également psychologique, la menace de révéler l’homosexualité du conjoint à ses proches, la difficulté d’expliquer la situation aux policiers…
En France, il n’existe pas pour l’instant pas d’équivalent à cette campagne d’information. Pourtant, Elodie Brun en est persuadée:
«Les associations LGBT doivent protéger les homosexuels de toutes les violences qu’ils subissent, qu’elles proviennent d’homophobes ou des homosexuels eux-mêmes.»
Elle veut croire que le mariage pour tous arrangera la situation. Le couple homosexuel y acquerra la même légitimité juridique que le couple hétérosexuel. Alors le verrou psychologique sautera peut-être, et quand ça arrivera conclut Elodie: «On n’est pas à l’abri d’avoir une explosion de plaintes…»