Le début de la tyrannie
C’est le point de départ de l’histoire d’Alice, jeune trentenaire affligée d’un incorrigible manque de confiance en soi, et qui tente vaille que vaille de réussir sa vie sentimentale et professionnelle. Depuis son enfance, elle n’a cessé d’être rabaissée par cette femme de pouvoir froide, égoïste et, qui plus est, hypocondriaque. Jusqu’à ce que la nouvelle tombe, sans appel, puisque cette fois il ne s’agit plus de symptômes imaginaires : sa mère est bien atteinte d’un cancer incurable. Impuissante devant le déclin de celle qui a toujours été pour elle une statue d’airain, Alice espère que cette vulnérabilité nouvelle permette enfin à sa mère de fendre l’armure. Alors que désormais le temps presse, elle organise un voyage en tête à tête à Cuba avec celle dont elle souhaite encore se rapprocher…
Certaines personnes sont parfois incapables d’aimer. C’est le constat que dresse Tristane Banon dans ce roman désenchanté mais souvent drôle, à force de situations effarantes. La relation mère-fille tumultueuse qu’elle retrace dépeint deux femmes unies par un lien indéfectible mais que tout oppose : l’une, insensible et habituée à dicter sa loi ; l’autre artiste fragile constamment dans le doute ; la première ne cessant de voir en la seconde une perdante, une ratée, une incapable ; l’autre idéalisant sans cesse celle qui l’a mise au monde, admirant sa force de caractère, son indépendance, sa réussite sociale, même lorsque celles-ci se construisent à ses dépends. Touchante, Alice fait montre d’un amour inconditionnel pour sa mère, quels que soient ses griefs. Et brosse en creux un portrait de femme impitoyable qui démontre, si besoin était, que l’instinct maternel est définitivement loin d’être inné.
D’une écriture à fleur de peau, instinctive et spontanée, à l’instar de cette jeune femme incapable de grandir tant que sa mère se refuse à l’aimer, Le Début de la tyrannie explore à travers sa narration originale et la singularité de son ton les notions d’héritage et de construction de soi, montrant de quelle manière se transmet d’une génération à l’autre la difficulté d’aimer. Mais c’est aussi un roman initiatique, ou seule la mort peut, en l’occurrence, apporter une libération.