L’anorexie mentale est un trouble grave du comportement alimentaire qui touche 1 % des adolescentes et des femmes jeunes. Elle est dite chronique quand elle dure plus de cinq ans, ce qui survient dans environ 20 % des cas.
Ici il s’agit de l’enfant qui se trouve face à une mère qui projète sur lui une vision contrôlée et déformée de la vie. Cela perturbe sa nutrition, ce que reprend cet article, mais cela perturbe aussi son rapport au monde ce qui est potentiellement psychotisant.
Cela retentit sur la vie de la femme elle même par l’importance des stérilités que génère l’anorexie. Soigner la stérilité sans soigner l’anorexie c’est mettre en danger l’enfant futur.
Cela retentit aussi sur l’entourage général, conjoints, amis.
Cet article montre bien l’importance du déni. Le fait qu’un anorexique et de la même manière les personnes très maigres sont dans une forme d’impossibilité de voir. L’anorexie se présente dans l’acte d’anorexie et dans les grands états de maigreur qui sont semblables dans leur fonctionnement. C’est une même dynamique qui est présente à chaque fois. L’impossibilité de voir ni le poids, ni la manière de voir le monde. Une forme de noyau psychotique. Au même titre d’ailleurs que les grandes obésités.
Natasha Campbell, auteur du « syndrome entéro-psychologique » explique bien que le niveau de perturbation par toxine est tel que les anorexiques n’arrivent plus à «voir» simplement ce qui se passe et ce qu’ils vivent, ce qui explique ces situations de déni.
La prise en charge de l’anorexie chronique est très difficile car la personne nie sa pathologie et refuse souvent l’aide extérieure. Toute discussion est source de conflit et les proches sont en général impuissants. La situation passe souvent inaperçue dans l’entourage professionnel car l’anorexique feint une alimentation normale tout en triant ses aliments. Le regard de la société est beaucoup plus complaisant envers la maigreur, même pathologique, qu’envers l’obésité. La situation peut donc perdurer des années en l’absence d’aggravation. Les anorexiques évitent les médecins et leurs seules consultations volontaires sont motivées par le désir d’enfant car elles sont en général stériles. La grossesse est alors souvent induite médicalement sans prise en charge du problème de fond(1,2). Plusieurs articles ont été publiés sur l’existence de troubles nutritionnels chez les enfants de mères anorexiques (3-7).
Les conflits sont fréquents pendant les repas avec hypercontrôle de la mère (8). Il n’y a pas d’appréciation positive sur le goût des aliments et l’enfant n’a aucun espace pour expérimenter de nouvelles saveurs. Ces rapports conflictuels peuvent induire l’apparition de troubles du comportement alimentaire (TCA) chez l’enfant avec refus alimentaire. D’ailleurs, le poids de l’enfant est inversement proportionnel au niveau de conflits pendant les repas.
Un des symptômes de l’anorexie mentale est la distorsion de l’image corporelle pouvant aller jusqu’à la dysmorphophobie. Elle peut parfois, chez la mère, modifier également l’image du corps de son enfant. De ce fait, elle restreint l’alimentation de son enfant en permanence, trie ses aliments (en supprimant sucres rapides et limitant féculents et matières grasses), exprime la peur qu’il devienne gros, voire essaie de le faire maigrir alors que son poids est normal. Cela peut aboutir à des troubles de l’image du corps chez l’enfant et à une altération de son estime qui le prédispose, plus tard, à des TCA (anorexie, boulimie, compulsions alimentaires, etc.), voire à une dépression(9).
Le retard staturo-pondéral de l’enfant peut être sévère et débuter dès la naissance. C’est un nourrisson qui grossit lorsqu’il est hospitalisé (5). L’atteinte, lorsqu’elle existe, touche en général toute la fratrie à des degrés variables et peut comporter des stigmates de malnutrition (membres très maigres et distension abdominale).
Il a été constaté chez 3 enfants de mères anorexiques sur 7 un déficit en hormones de croissance (1).
Par ailleurs, les troubles de la relation mère-enfant peuvent être plus généraux, au-delà de l’alimentation. Certaines mères évoquent des difficultés à jouer leur rôle parental, avec désinvestissement émotionnel et interruption des activités familiales pour pratiquer leur sport (11).
Troubles de l’alimentation : quoi faire ? À qui s’adresser ?
Puisque le sujet de l’alimentation est tabou, la situation des maris est très difficile : ils ont le choix entre être aveugles ou en conflit. Les autres proches sont également rejetés lorsqu’ils veulent intervenir. Enfin, ni l’école, ni les médecins ne jouent leur rôle de donneur d’alerte. Il n’y a d’ailleurs souvent aucun suivi médical, la mère évitant un dépistage. Le registre MoBa publié en 2010 a recensé 13 006 femmes pendant et après la grossesse pour étudier le retentissement des TCA de la mère chez l’enfant. L’inclusion de la mère était basée sur le volontariat. Seules 17 anorexiques ont participé sur 13 006 femmes, ce qui montre bien la réticence de ces femmes à être identifiées et suivies (13).
Les enfants de mères anorexiques : quel suivi ?
Il existe donc un réel problème nutritionnel chez les enfants de mères anorexiques qui s’apparente à de la maltraitance par carence en soins, avec des conséquences potentiellement graves. Sa fréquence est difficile à chiffrer, mais un diagnostic est indispensable le plus tôt possible, surtout en cas de retard staturo-pondéral, après avoir éliminé les causes organiques. Les pédiatres et les médecins généralistes sont les mieux placés pour faire le diagnostic, même si le suivi est très inconstant et l’interrogatoire de la mère difficile. Il est surprenant que l’on induise des grossesses sans prise en charge globale préalable chez ces femmes malades. Un suivi multidisciplinaire devrait être obligatoire avant, pendant et après la grossesse. Plusieurs auteurs soulignent ce problème avec le rôle majeur que devraient jouer les gynécologues dans la prévention et le diagnostic des TCA chez ces femmes (14,1,2). Ils citent le risque de faible poids de naissance de l’enfant, de prématurité et de troubles nutritionnels après la naissance. Par ailleurs, induites ou non, ce sont des grossesses à risque pour la mère et l’enfant qui devraient nécessiter une surveillance accrue(12). Du fait de la possibilité médicale d’augmenter la fertilité chez ces femmes, il semble indispensable d’être vigilant sur les conséquences possibles chez les enfants(1).
En conclusion
Le problème des enfants de mères anorexiques est sérieux, trop peu connu de la population générale, des familles et des médecins eux-mêmes. Il pose un problème éthique qui nécessite une réflexion des praticiens en général et des médecins dans les centres de stérilité en particulier. La prise en charge des anorexiques est toujours difficile et doit se faire en collaboration avec un psychiatre.
Références
1. Van Wezel-Meijler G, Xit JM. The offspring of mothers with anorexia nervosa: a high risk group for undernutrition ans stunting? Eur J Pediatr 1989 ; 149 : 130-5.
2. Andersen AE, Ryan GL. Eating disorders in the obstetric and gynecologic patient population. Obstet Gynecol2009 ; 114 : 1353-67.
3. Vignalou J, Guedeney N. About offsprings of mothers with anorexia nervosa: what about clinical practice in pediatric settings? Arch Pediatr 2006 ; 13 : 484-7.
4. Agras S, Hammer L, Mc Nicholas F. A prospective study of the influence of eating-disordered mothers on their children. Int J Eat Disord1999 ; 25(3) : 253-62.
5. Park RJ, Senior R, Stein A. The offsprings of mothers with eating disorders. Eur Child Adolesc Psychiatry 2003 ; 12(suppl1) : l110-19.
6. Waugh E, Bulik CM. Offspring of women with eating disorders. Int J Eat Disord1999 ; 25(2) : 123-33.
7. Nicali N, Somonoff E, Stahl D. Maternal eating disorders and infant feeding difficulties: maternal and child mediators in a longitudinal general population study. J Child Psychol Psychiatry 2011 ; 52 : 800-7.
8. Stein A, Wooley H, Cooper SD. Conflict between mothers with eating disorders ans their infants during mealtimes. Br J Psychiatry 1999 ; 175 : 455-61.
9. Ammaniti M, Lucarelli L, Cimino S. Transmission intergénérationnelle des troubles alimentaires de l’enfance et psychopathologie maternelle.Devenir2004 ;16 : n°3.
10. Guedeney N, Jeammet P. Les nourrissons de mères anorexiques. PRISME2000 ; vol. 32 : 168-76. 11. Patel P, Wheatcroft R, Park RJ. The children of mothers with eating disorders. Clin Child Fam Psychol Rev 2002 ; 5(1) : 1-19.
12. Chevalier N, Delotte J, Trastour C. Anorexia nervosa during pregnancy: an unusual association. Gynecol Obstet Fertil 2008 ; 36(11) : 1105-8.
13.Reba-Harreleson L, Von Holle A, Hamer RM. Patterns of maternal feeding and child eating associated with eating disorders in the Norwegian Mother and Child Cohort Study (MoBa). Eat Behav2010 ; 11(1) :54-61.
14. Peolidis M. La maternité chez des femmes ayant été anorexiques mentales à l’adolescence. Carnet/Psy n°90 : 26-30.
Copyright © Len medical, Pediatrie pratique, septembre 2014