La violence féminine
Nous sommes une équipe de doctorants issus de l’université de Strasbourg et nos thèses portent toutes sur le sujet de la violence au sein de la famille et des couples. Nous travaillons ensemble depuis 2013 et nous échangeons sur nos travaux de recherche et les questions qui émergent au cours de l’avancée de nos travaux. Nous formons un groupe interdisciplinaire : droit, psychologie, sociologie et science politique. Nous souhaitions créer un blog afin de mettre à jour nos réflexions sur les problématiques liées aux violences au sein de la famille et du couple.
Lors d’une recherche des termes ‘femme’ ou ‘féminin’ dans le Dictionnaire de la violence (2011), il est indiqué de chercher sous ‘couple’, ‘patriarchat’ ou ‘viol’. Dans les définitions de tous les trois termes, la violence féminine n’est pas considérée, et ainsi pas envisagée. Cela renvoie effectivement à l’approche selon laquelle les femmes sont les victimes, les hommes les auteurs. Mais des études plutôt récentes se sont penchées sur la question de la violence féminine et elles ont révélé que cette violence existe et qu’elle a aussi existé dans le passé. En effet, si la violence des femmes est restée longtemps ignorée, elle constitue aujourd’hui un objet de recherche en pleine expansion. On peut ainsi observer des recherches autour de la criminelle, la délinquante, la sorcière, la soldate, la révolutionnaire, la terroriste, la cheffe de gang, pour n’en mentionner que quelques unes : ces figures sombres du féminin sont en effet sorties de l’ombre historiographique dans laquelle elles étaient cachées. Il devient ainsi important aujourd’hui d’évoquer la violence féminine lorsque l’on parle de violence.
Comment peut-on aujourd’hui penser la violence des femmes ? Tout d’abord, je souhaiterais faire un point sur les recherches menées sur l’histoire de la violence féminine et les mettre en lien avec la théorie socio-constructiviste du genre avant de me pencher plus particulièrement sur la violence des femmes dans l’espace privé et notamment dans le couple
L’histoire de la violence féminine : les recherches menées en Europe
Sur la criminalité et plus largement sur la déviance féminine, les recherches historiques ont d’abord porté sur l’enfermement des femmes. Ces études-là ont vu le jour notamment à partir des années 1980, probablement suite aux mouvements féministes. Ainsi, Michelle Perrot a joué un rôle majeur, en ayant contribué à la problématisation de la question de l’enfermement et de l’histoire des femmes. La déviance des femmes dans l’entre-deux-guerres et les femmes bagnardes ont également été commencées à être étudiées à cette période-là. Le traitement pénal et social des mineures délinquantes ou déviantes a aussi commencer à intéresser les historiennes. Sur la délinquance juvénile et sa répression, il existe également des travaux depuis cette époque. On compte ainsi des études incluant celle des filles, des années 1870 aux années 1950, sur les mineures criminelles et encore sur la déviance juvénile féminine dans la France des Trente Glorieuses.
Des débuts d’études sur la participation des femmes à la violence intra-familiale comme l’infanticide, le ‘maricide’ , l’inceste ou encore le crime passionnel ont également commencé à naître. Il y a aussi des études spécifiques sur des femmes meurtrières.
En ce qui concerne l’histoire de la participation des femmes à la violence politique, différents travaux font par exemple référence aux ‘évidentes émeutières’ de l’Ancien Régime ou aux femmes nazies. Il faut également citer les études sur le féminisme radical et armé de Madeleine Pelletier et d’Arria Ly.
Comparant le nombre de travaux dans les domaines cités avec des travaux sur la participation des femmes aux institutions en charge de la ‘violence légitime’ selon la formule de Max Weber (police, armée), ces derniers sont plus rares.
Dans les différents travaux existants, la violence féminine reste néanmoins le plus souvent abordée à la marge. Mais la question est tout de même passée en une trentaine d’années du statut de non-objet à celui de sujet de recherche légitime qui peut (et a déjà pu) donner lieu à des thèses ainsi qu’à des colloques d’ampleur publiés. C’est dans le domaine de l’Histoire que l’on trouve le plus d’ouvrages collectifs qui traitent de la violence des femmes. L’historienne et sociologue autrichienne Hanna Hacker a été la première à proposer une étude synthétique, uniquement centrée sur la violence des femmes, et ceci à l’échelle européenne (Hacker, 1998). Par la suite sont apparus des manuels interdisciplinaires sur le sujet. Ces ouvrages ont conceptualiser un point de vue non victimaire des femmes. Suite au mouvement féministe des années 1970, il y eu une multiplication des travaux qui ont intégré cette dimension. Pourtant à cause de l’association féminisme/pacifisme, beaucoup de sujets n’ont pas vu le jour tout de suite. C’est notamment depuis les années 2000 que les centres d’études sur le genre ou sur la criminologie permettent de travailler sur cette thématique. Ces travaux qui sont inspirés du féminisme soulignent que la femme est – et était aussi – auteure, et qu’il faut donc lui reconnaître ce statut actif.
Genre et violence
Il a longtemps semblé difficile de décliner la violence au féminin, et encore aujourd’hui la thématique est problématiques pour certain/e/s, car l’ordre des sexes et des genres et, au-delà, l’ordre social, fait, pour beaucoup de personnes, de la violence un attribut du masculin viril. L’organisation sociale repose en effet sur la mise en scène – qu’elle soit matérielle ou symbolique – d’une bipolarité qui distribue des tâches et des stéréotypes. Ainsi sont opposés nature/culture, espace privé/espace public, donner la vie/donner la mort, force/faiblesse, virilité/féminité, sexe masculin/sexe féminin. Cette division sexuelle des rôles, des stéréotypes et des symboles met en place un ordre social dans lequel le ‘groupe femmes’ est agent de pacification des mœurs. L’image de la guerrières par exemple n’est pas pensable dans ce schéma.
Du point de vue chronologique, l’étude scientifique sur la violence féminine s’est faite après la mise en évidence des violences faites aux femmes, et ce, pour des raisons stratégiques. Les études sur les genres, liées au mouvement féministe, ont suivi la logique de l’urgence politique de changement des lois et des pratiques : il était ainsi impératif de rendre visible l’oppression structurelle, matérielle et physique qui était imprimée sur le corps même des femmes. Le recensement des actes concrets dont les femmes sont victimes est d’une grande importance pour la reconnaissance du phénomène comme fait social. En effet, il était crucial que les violences faites aux femmes deviennent visible sur la sphère public et qu’elles soient considérées comme un vrai problème public aussi.
Avec les rôles sociétaux changeant et un nouvel ordre social désormais établi très largement, un regard vers la violence féminine a été rendue possible. La féminisation dans les métiers (aussi dans l’armée par exemple), l’attitude plus ‘masculine’ de jeunes femmes, désormais leadeuses de gang par exemple en témoignent. Mais cette participation des femmes à la violence constitue un objet embarrassant pour le mouvement féministe, à la fois sur le plan militant et scientifique. En effet, la reconnaissance du phénomène est à haut risque : déclarer les femmes du côté de la non-violence, cela signifie de redoubler l’interdit qui leur est fait de revendiquer la violence comme ressource propre, cela signifie d’accentuer leur marginalité politique au détriment d’autres groupes dominants (par exemple les colonisés) pour lesquels la ressource ‘violence’ est légitimée. En même temps, reconnaître l’usage de la violence par les femmes comme possible et souhaitable, cela signifie d’affirmer que l’accès à la violence est un progrès social, cela signifie ainsi de valider l’idée d’un alignement des femmes sur les stéréotypes masculins, et non l’inverse.
Mais si les femmes violentes ont longtemps été écartées du champ des recherches, c’est aussi surtout en raison des difficultés du monde scientifique, en France notamment, à accorder une légitimité aux études de genre en tant que telle. Les centres des études sur le genre ont effectivement mis du temps à naître et à s’établir en France.
Un autre problème concernant les recherches sur la thématique de la violence féminine est que dans les statistiques, il y a moins de femmes condamnées et moins de femmes en prison que d’hommes. La question soulevée par des chercheurs et chercheuses et donc : sont-elles moins violente (et est-ce un indicateur que l’homme est de nature plus violent ?), sont-elles moins strictement puni par le tribunal en raison de leur attributs de mère ou agissent-elles de manière violente notamment dans l’espace invisible, c’est-à-dire dans l’espace privé, c’est-à-dire envers les enfants, envers le conjoint ou le compagnon ? Les femmes agissent-elles plutôt de manière violente dans l’espace privé et l’homme plutôt dans l’espace public ?
Les violences au sein du couple : le cas des femmes auteures et des hommes victimes
Lorsque l’on observe les médias face à la question de la violence féminine, la première chose qui apparaît, c’est celle de la violence conjugale. La question de l’auteur/e et de la victime se pose dans ce contexte. Le discours sur la femme victime est davantage répandu en France et en Italie qu’en Allemagne par exemple. En Allemagne, le sujet de la femme violente au sein du couple est plus souvent thématisé, ce qui est sans doute en lien avec les recherches sur le genre qui se sont établies plus tôt en Allemagne, car il y a une inspiration anglo-saxonne forte au niveau académique. Il s’y ajoute que la politique familiale est plus inclusive comme dans les pays nordiques : il y a ainsi des centres pour hommes victimes et pour femmes auteures, et non seulement pour femmes victimes. Dans les pays nordiques, cela va plus loin : la directrice du réseau Women Against Violence Europe (WAVE), Maria Rösslhumer explique lors d’un entretien qu’en Norvège et en Finlande, les hommes victimes de violences au sein du couple sont hébergés en foyer avec femmes victimes. Là-bas, il n’y a ainsi aucune différence faite entre un homme victime et une femme victime. Ceci peut cependant posé problème dans le ressenti des victimes notamment et dans leur vie quotidienne dans le foyer.
Au contraire, dans certaines associations en France et en Italie, il y a un rejet total d’accueil d’hommes victimes : dans le règlement de certaines associations, il est ainsi écrit que les hommes victimes doivent se diriger vers d’autres structures. Selon certaines travailleuses sociales et juristes travaillant pour des associations d’aide aux victimes en France et en Italie, les violences au sein du couple des femmes envers les hommes, et ainsi des homme victimes, n’existent pas. En Italie, ce qui a cependant été souligné plusieurs fois par les associations, c’est le problème du stalking (harcèlement) du côté de femmes signalé par les hommes, notamment après la séparation du couple. Ceci est considéré comme forme de violence.
Une différence qui est souvent par rapport au type de violence : selon les associations en France et en Italie, les femmes utilisent plutôt la violence psychologique (insultes, menaces, chantage etc), les hommes se servent plutôt de la violence physique.
Les médias allemands font pourtant référence à une violence physique de la part des femmes envers leur conjoint/compagnon. Il y a effectivement une prise en compte de l’homme victime. Les médias se basent ainsi notamment sur une études récente de l’Institut Robert Koch (RKI) qui a comme résultat qu’il y a quasiment autant d’hommes que de femmes victimes de violences physiques au sein de leur couple. Selon cette étude, les femmes se servent souvent d’objets pour attaquer leur conjoint ou compagnon. Cette étude a pourtant été critiquée par des chercheur/e/s allemand/e/s, notamment par rapport à son ampleur limités lors de l’enquête et le type de questions posées. Néanmoins, l’utilisation de ces données par les médias est intéressante, car dans d’autres pays comme la France ou l’Italie, il y a une quasi-absence de la thématique de l’homme victime dans les médias, même si en France, cela a été un sujet sur la sphère médiatique en 2010.
Conclusion
La violence féminine a été thématisée suite au mouvement féministe des années 1970 notamment. Certains domaines sont cependant restées d’abord dans l’ombre, et l’apparition d’ouvrage traitant en détails ces sujets a tardé, et ce pour différentes raisons. En effet, il fallait du temps pour établir des centre de recherches sur le genre. Ensuite, il a fallu observer la femme en tant qu’auteure de violence après avoir traité sur la sphère public le problème des violences envers les femmes. Cette chronologie a été important pour la lutte pour l’égalité des genre. Aujourd’hui, les travaux sur la violence féminine se sont multipliés et il traite les différents thématiques, même si certains sujets ne sont pas encore traités en détails et même si l’état de la recherche varie dans les différents pays, même des pays européens qui sont voisin. Le cas de l’étude de la violence au sein du couple en témoigne. Mais la violence féminine est désormais considérée comme une réalité, il manque néanmoins encore beaucoup de données pour vérifier son ampleur.
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