La qualité de l’interaction parent/enfant relève toujours de la responsabilité de l’adulte
Jesper Juul ajoute qu’il nous faut du temps pour nous habituer à ce fait et pour apprendre les principes qui créent des interactions saines avec les enfants. Le problème est que la manière dont nous influençons le processus (comment nous interagissons avec nos enfants) échappe en partie à notre contrôle conscient.
Nous influençons les interactions avec les enfants de plusieurs manières :
- notre personnalité
- nos tourments (ruminations mentales, soucis professionnels…)
- nos conflits familiaux (avec le conjoint/la conjointe, les parents, les beaux parents…)
- notre humeur momentanée (stress, fatigue, ennuis financiers…)
- notre zèle à bien faire (liés à des croyances rigides sur ce qu’il faut faire)
- notre angoisse de mal faire (liée à un manque d’estime de soi)
- les conseils lus ou entendus (magazine, famille, amis, livres, médias…)
- notre inconscient (héritage d’une histoire personnelle et d’injonctions sociales/culturelles)
Jesper Juul fait référence aux parents des générations précédentes qui, souvent, ne voyaient pas que la qualité des interactions était déterminante pour la réussite de leurs bonnes intentions éducatives (enseigner aux enfants à ne pas voler, ne pas mentir, à faire preuve de politesse, bien se tenir à table…). Encore actuellement, nous avons tendance à nous focaliser sur ce qui est important de “bien” faire et, quand cela échoue, nous pensons que quelque chose ne va pas chez l’enfant. Or nous gagnerions à raisonner en termes de comment nous avons fait les choses (le processus) plutôt qu’à ce que nous avons fait (le contenu).
Le contrôle du contenu consiste à atteindre un idéal d’adaptation totale de l’enfant par une autorité imposée qui “sait” et qui a le droit de faire du mal “pour le bien” de l’enfant : l’important est que les enfants soient gentils appliqués et doués à l’école et, par ailleurs, qu’ils fassent ce que les parents disent.
Mais cela se passe souvent différemment. Pour Jesper Juul, quand un enfant commence à se comporter de façon autodestructrice (faible estime de soi, retrait, douleur infligée à soi-même) ou destructrice (rébellion, vengeance, revanche), on peut être sûr de trois choses :
- ce n’est pas le premier de la famille qui agit de façon destructrice ou autodestructrice. Ce sont toujours les adultes qui commencent,
- les adultes de la famille ne sont pas en règle générale eux-même conscients de leur conduite destructrice/autodestructrice,
- sa conduite destructrice/autodestructrice s’est développée pendant plusieurs mois/ années. Même si on peut peut-être discerner un événement précis de sa vie qui s’est produit récemment, il n’a le plus souvent fait que révéler cette conduite.
Nous devons donc développer une éthique dans les rapports avec les enfants, où nous aurons les yeux et les oreilles en alerte par rapport aux bévues que nous commettrons inexorablement et nous devons ouvertement en assumer la responsabilité. Seule cette pratique éthique rendre les enfants libres de se développer à nouveau sainement. L’aide est là : les messages compétents des enfants qui nous ramènent là où nous-mêmes nous nous sommes arrêtés.
Pour une responsabilité parentale respectueuse fondée sur l’éthique
Jesper Juul estime que la source de nombreux problèmes réside dans le fait que les parents prennent entièrement en charge la responsabilité personnelle des enfants. Cela touche en particulier la nourriture, le sommeil, l’école, l’habillement, l’argent de poche, l’heure de lever, les relations, l’hygiène personnelle, le rangement…
Jesper Juul estime irresponsables (dans le sens où ils n’exercent pas leur pouvoir de manière responsable) les parents qui font porter sur les enfants la culpabilité des conflits. Il propose une approche dans laquelle les adultes assument cette responsabilité et donnent des modèles de prise de responsabilité personnelle. Par exemple, dans le cas du coucher, il écrit :
Les enfants sont parfaitement capables de gérer leur heure de coucher. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, ils vont imiter leurs parents. La plupart du temps ils vont assouvir leur besoin de sommeil mais parfois ils vont, comme les adultes, manquer de sommeil, parce qu’ils sont en train de faire quelque chose d’important, qu’ils se détendent ou qu’ils regardent une émission passionnante.
Mais cela ne veut pas dire que les enfants doivent choisir eux-mêmes leur heure de coucher, si les parents préfèrent qu’il en soit autrement. Au cas où les parents veulent avoir la paix et être tranquilles, s’ils veulent être sûrs que les enfants seront reposés pour le lendemain, ou pour une autre raison, ils peuvent user de leur pouvoir et exercer leur responsabilité parentale.
En cette occasion, ils sont les seuls responsables si l’interaction devient peut-être destructrice ainsi que de changer leur décision et leur attitude si cela se produit.
C’est probablement ce qu’il y a de plus sain pour les enfants d’avoir une bonne nuit de sommeil, mais si les conflits destructeurs se passent à l’heure du coucher, ils sont manifestement encore plus néfastes à la santé (physique et mentale…). Le processus l’emporte sur le contenu; la qualité de l’interaction sur le comportement et la méthode.
Ainsi, si un enfant demande à ce que le parent reste plus longtemps au moment du coucher, la réponse peut prendre plusieurs formes, saines ou non :
- types de réponses saines : “Non parce que j’ai besoin de calme/ de repos/ de tranquillité”, “J’ai peur que demain matin soit difficile si tu manques de sommeil” (prise de responsabilité personnelle du parent qui exprime son besoin, ses émotions et qui accepte les conséquences chez l’enfant : colère, tristesse, négociations…); une négociation si on pense qu’il y a lieu de le faire (solution permettant de combiner les besoins des adultes et des enfants dans laquelle les besoins et émotions de l’enfant sont reconnus);
- type de réponses non saines : “Non parce que tu es fatigué.e” (monopolisation des sensations et des besoins des enfants par l’adulte qui se met en position de savoir à la place de l’enfant ce que ce dernier ressent).
Jesper Juul rappelle que les conflits ne menacent pas la santé de la famille : c’est seulement notre manière de les traiter qui peut la menacer. Pour autant, c’est difficile à la fois pour l’enfant de retrouver son sens de la responsabilité individuelle quand il a été usurpé pendant longtemps par ses parents et pour les parents de se retirer du contrôle !
Un enfant qui a développé une estime de soi saine et un sens de la responsabilité individuelle est capable de donner la priorité à son bien-être sans tricher ni mentir (et cela suppose que les parents sachent le faire aussi… c’est-à-dire sachent s’exprimer dans un langage authentique et personnel sans menace, punition, humiliation ou chantage quand ils s’adressent à leurs enfants).
Quand les parents et les autres adultes fixent des limites personnelles, ils prennent avant tout en charge leurs propres besoins. Quand ils peuvent le faire sans agresser les enfants, le processus familial d’interaction est marqué par le respect fondamental de la diversité de la vie, mais il faut noter la praksis respectueuse. Les enfants n’apprennent pas seulement le respect et les égards entre êtres humains comme un message de morale. Ils apprennent à se conduire selon une éthique. – Jesper Juul