La belle-mère privait les enfants de son mari de jeu, de soin et de nourriture
Un couple a été condamné par le tribunal d’Evry. La vie des enfants a été comparée à celle de Cendrillon ou de Cosette.
L’histoire est digne des contes les plus cruels. Le procureur ne s’y est pas trompé, invoquant « les Misérables ou Cendrillon » à l’audience qui s’est tenue mercredi soir devant le tribunal correctionnel d’Evry. « Des récits qu’on juge insupportables, souligne-t-il. On n’admet pas qu’une telle méchanceté puisse être reproduite en vrai. »
Et pourtant, comme les personnages de Cosette ou Blanche-Neige, trois enfants ont été plus particulièrement victimes de la « haine » de leur belle-mère. Même si au final, les cinq enfants d’un couple qui vivait à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) avant de déménager à Grigny (Essonne) ont été placés en foyer en 2012.
Depuis 2004, ils étaient tous frappés à coups de ceinture. Mais les trois plus grands, issus d’un premier mariage, vivaient un calvaire encore plus intense que les plus jeunes : ils n’avaient pas de jeux, pas de jouets, pas de livres, interdiction de sortir de leur chambre, de manger, de regarder la TV ou de prendre une douche chaude.
Ariston, le mari de 48 ans, sous l’emprise de la « mégère », comme l’a appelée un avocat, et Marie-Roselène, 46 ans, ont été condamnés à 3 ans de prison dont deux ans ferme. « Nous sommes allés plus loin que les réquisitions du procureur parce que les faits sont extrêmement graves, ces enfants ont failli mourir, lance la présidente du tribunal. Et vous n’avez pas eu un mot d’excuse pour les victimes. Deux ans c’est trop long pour un bracelet électronique, vous ferez de la semi-liberté ou de la prison. »
L’autorité parentale n’a en revanche pas été retirée au couple, puisque seules les deux plus jeunes sont encore mineures. Et qu’elles ont « seulement » reçu des coups au quotidien, pas vécu les « privations les plus folles ».
Les deux aînés, aujourd’hui majeurs, mangeaient tellement peu qu’ils pesaient respectivement 24 et 27 kg pour une taille avoisinant 1,60 m à 12 ans et 14 ans. « Pourquoi avez-vous laissé faire ça à vos fils », demande la juge à Ariston, peintre en bâtiment. La belle-mère qui travaille dans l’hôtellerie, lui coupe la parole et répond : « En Haïti on donne directement un plat chaud, pas d’entrée, mais ils n’aimaient rien. »
Ils ont découvert le goût du chocolat lorsqu’ils ont été placés
L’enquête a montré qu’à part le midi à l’école en semaine, ces enfants n’avalaient rien chez eux. « Ils ont découvert le goût du chocolat lorsqu’ils ont été placés », souffle le procureur. C’est d’ailleurs parce que l’une des filles a été conduite d’urgence à l’hôpital pour une crise d’appendicite que le pot aux roses a été découvert. Le médecin a diagnostiqué en parallèle une « malnutrition ».
Les enfants racontent alors leur calvaire aux assistantes sociales : les douches froides, dans un bac, même en plein hiver. « Ils mentent, c’est juste que notre ballon d’eau chaude se vidait vite, » plaide Ariston qui ne reconnaît pas non plus les coups de ceinture donnés quotidiennement. Parfois juste parce que les enfants sont sortis de la chambre dans laquelle ils vivent reclus, ou parce qu’un des plus grands a mangé un bout de croissant auquel il n’avait pas droit : « On est en France depuis longtemps, on connaît la loi. On ne les a pas frappés. »
Pourtant des lésions et des cicatrices récentes comme anciennes ont été constatées sur le corps des trois plus âgés. Des traces de 9 cm de long sur 2 cm de large. « Qui ressemblent quand même beaucoup à des marques de ceinture », ironise la juge.
Les services sociaux ont pourtant rendu visite à la famille. Mais pour donner le change, lors d’une inspection annoncée à l’avance, la belle-mère fait dresser une table remplie de victuailles. « Mais les trois plus grands n’ont rien pu avaler tellement ils n’avaient pas l’habitude de manger », commente le procureur.
« Notre belle-mère nous a privés de notre jeunesse »
« Cette audience était attendue par les enfants, surtout les plus jeunes, qui veulent revoir leurs parents, mais ce déni est extraordinaire », soupire l’avocat du conseil départemental, qui a encore la charge de deux enfants de la fratrie.
« On est émus, choqués et stupéfaits de l’attitude de ces adultes. Comment peut-on faire ça ? Juste parce qu’ils n’ont pas la même mère, les trois plus grands enfants se sont vus refuser des bonbons, n’ont pas le moindre jouet et n’ont pas le droit de regarder la télévision », rappelle le procureur, pour tenter d’éveiller la conscience du père.
L’expertise psychologique des enfants apporte malgré tout un espoir selon le représentant de l’Etat : « Ils ont une grande capacité de résilience. Ils ont eu la chance de pouvoir rester tous ensemble, entre frères et sœurs, même placés. » Malgré tout, ils culpabilisent. « Je demandais simplement à manger, comme un enfant normal, avoir un peu de bonheur » avait lâché aux enquêteurs le plus grand. « Notre belle-mère nous a privés de notre jeunesse », avait embrayé en audition son autre frère.