Je n’ai aucun souvenir d’enfance
Bons ou mauvais, les souvenirs d’enfance restent, pour certains, inaccessibles. Que cache cette amnésie ? Est-ce une façon de se protéger du passé, en oubliant son histoire ou un secret de famille ? Faut-il retrouver cette mémoire enfouie ? Si oui, comment ?
« Mon frère se rappelle très bien notre enfance : nos cabanes, nos disputes, mes bêtises… Moi, rien », constate Élise, 34 ans. Pourtant, comme le confirme l’hypnothérapeute Olivier Lockert, auteur de Miracles quotidiens, histoires réelles de guérison par hypnose (IFHE Éditions, 2008), « le cerveau humain a une formidable capacité de stockage. Il enregistre tout et n’efface rien ». Nous avons donc tous des souvenirs d’enfance, mais plus ou moins enfouis.
Par rejet de l’enfant que j’ai été.
Ce rejet des souvenirs découle parfois d’une décision prise très jeune, avec tant de force qu’elle reste encore active dans l’inconscient. Julie, 30 ans, en témoigne : « Souffre-douleur à l’école, j’ai été tellement humiliée que je me suis promis de ne plus jamais être aussi faible… Et j’ai jeté un voile sur ces années-là. » Comme l’explique Virginie Megglé, « ceux qui occultent leurs souvenirs ne veulent pas faire de place à l’enfant qu’ils ont été et qui subsiste en eux. Ils ont peur, en laissant leur passé resurgir, de dévoiler un être monstrueux ». Pourtant, complète la psychothérapeute Isabelle Crespelle, auteure, avec Fanita English, de S’épanouir tout au long de sa vie (InterÉditions), « retrouver cet enfant en nous, c’est souvent découvrir un être apeuré, qui a besoin d’amour ».
Pour me protéger
Autre facteur possible de cette amnésie : l’environnement familial. « Quand il y a un secret de famille, par exemple, l’enfant apprend, à travers le comportement de son entourage et l’éducation qu’il reçoit, à ne pas poser de questions sur le passé, affirme Virginie Megglé. Donc à ne pas avoir de mémoire. » Obéissant à cet ordre tacite, il l’applique, par habitude ou par réfl exe, à sa propre histoire. « C’est ainsi qu’en analyse, nous arrivons à raviver cette mémoire de l’enfance, en exhumant parfois des secrets qui remontent aux grands-parents », précise la psychanalyste. Ou en mettant en lumière le mal-être de notre mère au moment de notre prime enfance : « Un bébé qui a ressenti le rejet ou la souffrance de ses parents est tenté, pour se protéger, de se fermer à son tour », observe encore Virginie Megglé. Il éludera alors ce manque d’amour originel et s’inventera un début de vie sans ombres… ni souvenirs réels.
Pour effacer un événement traumatique
« L’oubli est une protection contre un événement vécu comme traumatique : un moment de honte, de chagrin, de solitude… » ajoute l’hypnothérapeute. Faire table rase du passé permet d’avancer dans la vie, malgré cette blessure. Une nécessité pour les personnalités fragiles, manquant de confi ance en elles. « Ou pour ceux qui se sentent inconsciemment coupables de ne pas s’être défendus, petits, face à cet événement traumatisant », éclaire la psychanalyste Virginie Megglé.
Être attentif à ses émotions négatives
« Il faut savoir ce qui bloque dans le passé, ce qui fait mal au point de vouloir le garder enfoui, explique Olivier Lockert, hypnothérapeute. Pour cela, il s’agit d’être attentif à ce qui nous fait réagir excessivement, ce qui nous insupporte, et de nous y arrêter : ai-je déjà éprouvé cet agacement ? Quand, pourquoi ? » Le but : remonter peu à peu le fil de nos émotions négatives jusqu’à l’enfance.
Écouter les autres raconter leurs souvenirs
« Il vaut mieux n’accorder qu’une confiance modérée aux sources familiales, assure Virginie Megglé, psychanalyste. Elles donnent des informations interprétées par l’entourage. En revanche, écouter ses amis relater leurs propres souvenirs et être aux aguets de ce que cela réveille en soi permet de s’ouvrir un peu. Souvent, il suffit de lancer la discussion pour que chacun raconte une anecdote. Dire “j’ai existé” est le début d’une meilleure acceptation de soi. » Et de la réactivation de ses premiers souvenirs.
Revenir sur les lieux de son enfance
« Revenir sur les lieux de sa jeunesse, ou encore observer les enfants, sont de bons indicateurs des émotions liées à notre passé, estime Virginie Megglé. Une petite fille qui pleure en haut d’un toboggan nous renvoie à un sentiment d’abandon ? Cette réaction a du sens au regard de notre propre enfance. En s’attachant à ce ressenti, nous ouvrons la porte de l’inconscient et des souvenirs. »
Témoignage
Jean, 27 ans, travailleur social
« Je n’avais aucun souvenir de mes dix premières années… Jusqu’à ce que j’apprenne, à 20 ans, que j’avais été adopté. Mes parents avaient si bien éludé mes questions que j’avais effacé ma propre histoire. Je suis alors parti dans mon pays de naissance, l’Argentine, à la recherche de traces, d’odeurs, de couleurs qui raviveraient ma mémoire. Il m’a fallu être patient, m’en imprégner, afin de laisser les souvenirs de mon enfance remonter les uns après les autres, comme des bulles. »