Féministe et égalitariste, cette avocate défend les sans-droits que sont ces hommes à qui on a fait un enfant dans le dos
Mary Plard aime les anecdotes. Celles qu’on raconte avec des couleurs, des bruits, mimées ou susurrées au gré des émotions. Son combat pour les droits des hommes devenus pères malgré eux, l’avocate aime à l’expliquer par une voix. Celle de Paul, père d’un enfant non voulu. «Elle exprimait tout, la douleur, l’angoisse», se rappelle Mary Plard, devant son thé – qu’elle choisit vert, puis noir, puis en fait non, vert – à la buvette du palais de justice de Paris. «Puis il a prononcé des mots peu masculins : “abusé”, “violé”. J’ai tendu l’oreille.» Paul sera son premier «dossier», celui qui a inspiré Paternités imposées, seul livre à évoquer ce sujet qui fâche.
Les pères malgré eux ? Des salauds qui n’ont qu’à assumer ! Ils n’ont pas de droits ? Et puis quoi encore ? Mary Plard, 57 ans, spécialiste des divorces, droits de garde et succession, répond toujours très calmement, très «avocate» dans son jean – serré – chemise – blanche. Et raconte l’histoire de Paul.
L’homme est quinqua, marié, père de grands enfants. Lors d’un déplacement, il croise Barbara, 44 ans, célibataire. Quelques semaines plus tard, Barbara annonce à Paul qu’elle est enceinte de lui, elle qui n’a pas eu d’enfants. Qu’elle le garde. Paul cherche des réponses, juridiques, et n’en trouve pas. «Sur le terrain de la conception, les hommes ont aujourd’hui moins de droits que les femmes, constate Mary. Ils doivent juste se taire. C’est normal, ça, en 2013 ?» Et voilà comment Paul a réveillé son féminisme, qu’elle définit tout simplement comme «une recherche d’égalité, et pas une surpuissance de la femme». Il ne s’est pas protégé ? Soit. Mais quid des filles qui avortent ? Leur reproche-t-on, à elles, de n’avoir pas utilisé un préservatif ? Si Paul est un salaud, les femmes qui avortent, alors, sont des salopes ?
Mary a bien suivi les tribulations de 343 d’entre elles, en 1971.
Etudiante en droit à Nantes, admiratrice de Gisèle Halimi, la légalisation de l’avortement est même son premier combat féministe. Elle accepte donc de revêtir sa «cotte de mailles» – elle adore l’expression ! – pour défendre Paul, qui décide de suivre la grossesse de Barbara à défaut de pouvoir l’empêcher. Mais toutes ses demandes se heurtent au silence de la mère. Il ne sait rien du sexe, de l’état de santé, de l’évolution du fœtus. Il ne connaît même pas le lieu de l’accouchement. L’avocate tente alors de faire entendre sa voix devant un tribunal. Son client est condamné à verser des dommages et intérêts. Il abandonne le combat, au moins judiciaire. «J’ai eu beaucoup de chance de la rencontrer, témoigne Paul. Pour elle, je n’étais ni un salaud ni une victime, juste une personne qui peut revendiquer des droits. Elle ne m’a jamais jugé. Et ne m’a jamais leurré sur mes chances de me faire entendre.» Après Paul, Mary Plard défend Georges, patron d’une grande entreprise. Un matin, dans un café, une jeune femme lui annonce être enceinte après leur aventure d’une nuit. Il ne veut pas de cette paternité et le lui dit. «Devant la justice, un homme dans sa situation est coincé, décrypte maître Plard. Si la femme le demande, il doit se soumettre à un test de paternité. Un refus de sa part est vu comme un aveu implicite, et il est souvent désigné comme le père.» Une bizarrerie juridique connue du public depuis l’affaire Dati-Desseigne. Assigné en paternité par l’ex-garde des Sceaux, le président du groupe Barrière pourrait bien devenir le père de la petite Zohra s’il refuse de livrer son ADN.
«Mary va ouvrir des pistes juridiques dans ce domaine,promet une amie magistrate. Elle est d’une grande rigueur et d’une grande créativité.» Pour le moment, certains de ses dossiers sont en attente. Les autres sont perdus.
Elle éclate d’un rire clair et rocailleux. «Oui, je perds tous mes procès et, en plus, je viens m’en vanter !» L’avocate a même enduré le sermon d’une présidente de tribunal, sur le thème du préservatif et de la morale. Mais d’après Barbara, sa sœur cadette, avocate elle aussi, «elle ne va pas lâcher le morceau face à cette injustice légitime». Mary Plard a d’ailleurs quelques idées à proposer : «L’accouchement sous X est une solution certes douloureuse, mais elle existe pour les femmes – elle plante ses yeux de chat soulignés de noir dans les vôtres -, pourquoi la possibilité d’être “géniteur sous X” ne serait pas offerte aux hommes ?» L’idée est séduisante. Egalitaire, en tout cas. Le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke, qui signe la préface du livre, ne va pas si loin mais souligne néanmoins les lacunes d’une justice qui devra bien s’adapter. Pourquoi lui ? Pour Mary Plard, «VR» est «emblématique d’une justice idéale. J’avais envie de voir si je pouvais ébranler le plus grand des juges».
Son goût du combat, des sensations fortes, Mary en est sûre, c’est l’océan qui le lui a donné. L’océan qui bordait les murs de son lycée à Lorient (Morbihan). Le vent qui s’engouffre dans les salles de classe, les bourrasques dans la cour de récré, ça forge un caractère. Le sien lui a permis de mener une carrière d’avocate et d’avoir cinq enfants avec un mari directeur dans le BTP, dont elle est séparée depuis dix ans. Après son deuxième bébé, Mary Plard obtient même l’ouverture d’une crèche à la maison des avocats de Nantes.
Son désir d’indépendance, elle le situe un peu plus tôt. Vers l’âge de 10 ans, et l’acquisition d’un petit vélo avec lequel elle parcourt 39 kilomètres, toute seule. «Mon premier souvenir de liberté, j’ai tout de suite aimé !»
Le quotidien de la fillette est moins exaltant. Deuxième de trois, Mary grandit dans un milieu bourgeois, breton et catholique, va à la messe entre ses parents, chef d’entreprise et mère au foyer, porte l’uniforme chez les sœurs et n’approche pas les garçons. Elle s’émancipe à la fac, mais sans rupture, sans drame, en évitant les sujets qui fâchent à la maison. Elle n’y prononcera jamais le mot avortement. A 57 ans, Mary Plard a bien dû évoquer le sujet de son livre devant ses parents octogénaires. «Je crois que je n’avais jamais prononcé le mot sexe devant eux. Alors sperme, préservatif… Mais plus ils vieillissent, plus ils se libèrent, ils sont géniaux !»
Maître Plard, elle, n’a pas retourné sa cotte de mailles, et continue de défendre les hommes comme les femmes. Tiens, la semaine dernière, elle défendait encore une cliente dans une procédure de reconnaissance de paternité. A l’annonce de la grossesse, le compagnon de la dame pourtant consentant, a pris la fuite. «Je lui ai fait la totale. Un vrai rouleau compresseur.» Ah ! Mais aurait-elle pu aussi le défendre, lui ? Du tac au tac, Me Plard répond : «Sans doute oui, il avait sa version des faits.» Elle se reprend. Homme ou femme, elle accepte «ceux qui ont besoin» d’elle. «Mais qui ne se moquent pas du monde…» Elle garde un souvenir cuisant d’un conducteur de TGV, père d’un enfant dans chaque gare et venu la voir pour tenter d’échapper au versement de ses pensions. Et qui a tenté in fine de décrocher un rendez-vous galant. Lui s’est heurté à la cotte de mailles. Photo Bruno Charoy
En 5 dates
10 avril 1955 Naissance à Lorient (Morbihan). 1980 Passe le barreau de Nantes (Loire-Atlantique). 27 décembre 1982 Naissance du premier de ses cinq enfants. 2008 Rencontre Paul. Janvier 2013 Paternités imposées, éditions LLL.
Violette Lazard