Dans notre société riche en clichés où les rôles d’homme prédateur et de femme victime sont depuis longtemps devenus une norme sociale, la statistique établissant qu’un auteur présumé sur quatre impliqué dans une affaire criminelle déclarée soit de sexe féminin a de quoi laisser songeur. Bien sûr, les personnes de sexe féminin restent minoritaires dans ce domaine, mais avouons qu’elles ne le sont pas autant qu’on le supposerait.
Par
Olivier Kaestlé
Une étude de Statistique Canada intitulée Les contrevenantes au Canada, 2017, réalisée par Laura Savage et rendue publique il y a un an, est à ce propos riche en statistiques :
« En 2017, 942 777 personnes de 12 ans et plus étaient impliquées dans une affaire criminelle déclarée par la police et, parmi ces auteurs présumés, 1 personne sur 4 (25 %) était de sexe fémininNote . »
Taux de criminalité plus élevé chez les jeunes
L’enquête révèle que les taux de criminalité les plus élevés se retrouvaient chez les jeunes femmes de 18 à 24 ans (2803 auteures présumées pour 100 000 personnes), mais les adolescentes de 12 à 17 ans ne sont pas en reste :
« Cette tendance était particulièrement évidente chez les personnes de sexe féminin, les taux de criminalité ayant atteint un sommet chez les adolescentes (773 auteures présumées pour 100 000 adolescentes de 12 à 17 ans) (données non présentées). »
La criminalité des adolescentes étant devenue un phénomène en plein essor partout en Occident, il est normal que le Canada ne fasse pas exception :
« Par exemple, les adolescentes représentaient 31 % des auteures présumées d’agression sexuelle de niveau 1, et 59 % des auteures présumées de distribution non consensuelle d’images intimes. De même, la proportion d’auteures présumées était plus élevée parmi les jeunes auteurs présumés que parmi les auteurs présumés d’âge adulte. Par exemple, de tous les jeunes auteurs présumés de communications indécentes ou harcelantes, 41 % étaient de sexe féminin (par rapport à 36 % des auteurs présumés d’âge adulte). »
D’abord, les crimes contre les biens, ensuite la violence
Alors que 35 % des crimes imputés à une personne de sexe féminin concernaient les crimes contre les biens, la violence suivait immédiatement :
« Le quart (25 %) des infractions imputées à des auteures présumées étaient de nature violente. »
Taux d’auteures présumées d’homicide 27 fois plus élevé chez les Autochtones !
Alors que notre perception des femmes autochtones est celle de victimes, cette statistique, touchant spécifiquement les homicides, a par ailleurs de quoi jeter à terre :
« En 2017, au sein de la population de sexe féminin, le taux d’auteures présumées d’homicide était 27 fois plus élevé chez les Autochtones que chez les non-Autochtones (5,4 pour 100 000 Autochtones de sexe féminin par rapport à 0,2 pour 100 000 non-Autochtones de sexe féminin). Par comparaison, parmi la population de sexe masculin, le taux d’auteurs présumés d’homicide d’origine autochtone était près de 12 fois plus élevé que celui de leurs homologues non autochtones (23,1 auteurs présumés pour 100 000 Autochtones de sexe masculin par rapport à 2,0 pour 100 000 non-Autochtones de sexe masculin). »
Le déni n’est pas une solution
Il ne s’agit pas ici de faire passer les femmes autochtones du statut de victimes tous azimuts à celui de prédatrices meurtrières, mais bien de nuancer une réalité qui a grand besoin de l’être. Toute médaille a son envers, quoi qu’en pensent certaines idéologues qui vivent dans un déni perpétuel de la violence féminine.
Le refus d’admettre ce fléau implique de ne jamais en identifier les causes et encore moins de développer des pistes de solution, de guérison et de prévention :
« En général, les Autochtones ont tendance à être surreprésentés parmi la population de contrevenants au sein du système de justice pénale et parmi la population de victimes d’actes criminels — une constatation qui peut être attribuable au traumatisme intergénérationnel, à la colonisation, au racisme et à la discrimination, ainsi qu’au manque de financement et de solutions de rechange à l’emprisonnement qui sont culturellement appropriées (Friedland, 2009; Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015). »
Données manquantes
Sans doute parce les personnes de sexe féminin restent minoritaires dans le crime, les données manquent sur la criminalité féminine en général :
« Comparativement à la quantité d’études menées sur la criminalité chez les personnes de sexe masculin, on en sait relativement peu sur la nature et l’étendue de la criminalité au sein de la population de sexe féminin (Liddell et Martinovic, 2013). »
Deux poids, deux mesures ?
Est-ce le manque de données qui influence une plus grande clémence des tribunaux envers les personnes de sexe féminin accusées de crime violent ? Le constat est sans appel :
« Les crimes violents commis par une personne de sexe masculin sont plus susceptibles de mener à un verdict de culpabilité, tandis que ceux perpétrés par une personne de sexe féminin sont plus susceptibles de se solder par un arrêt ou un retrait. »
Même reconnues coupables, leurs sentences sont moins lourdes :
« (…) En 2015-2016, les contrevenantes adultes qui ont été reconnues coupables de crimes violents étaient près de deux fois moins susceptibles que leurs homologues de sexe masculin d’être condamnées à une peine d’emprisonnement (22 % par rapport à 39 %) (graphique 5).) »
Comment régler un problème dont on nie l’existence ?
Une conclusion générale se dégage de cette étude, riche en statistiques : tout comme dans le cas des prédatrices sexuelles, les contrevenantes toutes catégories restent sans doute sous représentées, mais elles n’en demeurent pas moins sous-estimées au chapitre de leur impact sociétal comme de leur nombre.
Cette réalité entraîne deux conséquences fâcheuses : leurs victimes ne sont pas autant reconnues qu’elles le devraient, et la criminalité féminine étant banalisée, ses causes restent ignorées. Comment régler ou gérer une problématique quand on ferme délibérément les yeux sur ses origines ?
Diplômé d’un baccalauréat en littérature française (Université du Québec à Trois-Rivières) et d’un certificat en journalisme (Université Laval), Olivier Kaestlé a commencé à s’exprimer dès 2006 dans les tribunes d’opinion sur une pléthore de sujets. C’est en créant son blogue en 2009 qu’il a choisi de se consacrer presque exclusivement à la condition masculine et à la dénonciation des injustices et iniquités vécues par les hommes et les garçons, tout en se vouant à la lutte à l’intégrisme religieux, qui menace de plus en plus les femmes et les filles ayant la chance de vivre selon les valeurs civilisées du Québec. Olivier a également co-animé avec Lise Bilodeau l’émission « Tant qu’il y aura des hommes… » sur les ondes de Radio Média Plus.ca.