Comment briser le cercle de la violence éducative ?
Les 8 principes de la pédagogie noire selon Alice Miller
Dans son livre C’est pour ton bien : Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant, Alice Miller démontre que le mépris et la persécution des enfants, la répression de leur élan vital et de leur créativité ainsi que la négation de la sensibilité des enfants comme des adultes caractérisent l’éducation traditionnelle dont l’apogée fut atteinte à la fin du XIX°/ début XX°.
Alice Miller utilise les termes de « pédagogie noire » pour désigner l’éducation qui a pour but de briser la volonté de l’enfant pour en faire un être docile et obéissant (« il faut bien les mater », « il faut bien leur montrer qui est le chef »). Elle la dénonce en tant que racine de la violence sociétale et terreau fertile aux idéologies les plus criminelles, dont le nazisme dans les années 1930/1940.
Cette pédagogie noire repose sur 8 principes :
1. Les adultes sont les maîtres de l’enfant encore dépendant
Les enfants exécutent des ordres non pas parce qu’ils sont justes, mais parce que ce sont des ordres émanant de la « hiérarchie ».
2. Les adultes tranchent le bien et le mal comme le feraient des dieux tout puissants
3. La colère des adultes est le produit de leurs propres conflits intérieurs (bien qu’ils n’en soient pas conscient et/ou ne veulent pas le reconnaître)
4. Les adultes rendent les enfants responsables de cette colère
5. Les parents ont besoin d’être protégés
Il ne faut donc pas « céder » aux besoins des enfants sous peine de se faire avoir, de se faire « bouffer » pour reprendre des termes courants.
6. Les sentiments vifs qu’éprouve l’enfant pour son maître constituent un danger
La pédagogie noire repose sur la répression et la négation des sentiments quels qu’ils soient. Il ne faut pas montrer trop d’amour sous peine de passer pour un être mièvre, il ne faut pas non plus exprimer de colère.
La colère est interdite et l’opposition aux parents est réprimée par différents moyens comme le mensonge, l’humiliation ou encore les coups. Pourtant, les enfants qui ont eu la possibilité de réagir aux souffrances, aux vexations et aux échecs qu’ils rencontraient (c’est-à-dire par la colère) conservent dans leur maturité cette aptitude à réagir de façon adéquate. Adultes, ils n’éprouvent pas le besoin de sauter à la gorge des autres quand on leur fait du mal.
Je vous propose de compléter la lecture avec ces articles pour quelques outils d’expression de la colère :
La roue de la colère pour exprimer la colère de manière respectueuse
Un outil pour aider les enfants à reconnaître leurs émotions et trouver une solution d’expression
7. Il faut le plus tôt ôter à l’enfant sa volonté
Les moyens de l’oppression sont : les pièges, les mensonges, la manipulation, l’intimidation, la privation d’amour, la honte, l’isolement, l’humiliation, le mépris, la moquerie jusqu’à l’utilisation de la violence. Le ridicule et l’humiliation peuvent tout autant blesser un enfant que des coups.
Je vous propose de consulter ces articles pour des alternatives à ces habitudes éducatives :
Supprimer le chantage dans l’éducation des enfants
7 alternatives au coin et à l’isolement des enfants
Les 4 R de la punition : quel résultat à long terme des punitions ?
8. Tout cela doit se faire très tôt de manière à ce que l’enfant ne s’aperçoive de rien et ne puisse trahir l’adulte.
Pour Alice Miller, cette pédagogie noire (ou éducation traditionnelle) repose plus sur des rapports de pouvoir que des rapports de respect et d’amour.
Des répercussion de cette pédagogie noire aujourd’hui?
Alice Miller admet dans son livre que les parents ont changé depuis (son livre a été écrit en 1984).
L’obéissance, la contrainte, la dureté et l’insensibilité ne passent plus pour des valeurs absolues. Mais la réalisation de ces nouveaux idéaux est souvent entravée par la nécessité de maintenir refoulée la souffrance de sa propre enfance, ce qui conduit à un manque d’empathie. – Alice Miller
Le manque d’empathie qui caractérisent les adultes ayant souffert d’une enfance violente les empêche de s’ouvrir à la souffrance des autres (et notamment à celle des enfants fessés, punis, humiliés). Alice Miller écrit que certains adultes qui ont eux-mêmes été victimes d’une éducation traditionnelle peuvent être capables respecter l’enfant et accueillir ses émotions, même si ce n’est pas la majorité. Elle reconnaît cependant qu’il sera difficile de se débarrasser en l’espace d’une ou deux générations des habitudes éducatives de la pédagogie noire ancrées dans nos sociétés depuis des siècles.
Par ailleurs, les enfants éduqués selon les principes de la pédagogie noire ont tendance à développer une vision négative d’eux-mêmes. Ils peuvent se décrire comme des enfants « bêtes » et « vilains », « que personne n’aime » et ont du mal à s’avouer fiers de quelque chose qu’ils réussissent. Ils ont plus peur que les autres d’entreprendre de nouvelles choses par peur de mal faire ou encore par honte. Ils deviendront alors des adultes peu sûrs d’eux mêmes.
Comment briser le cercle de la violence éducative ?
Favoriser la faculté de résilience
Dans son livre Pour une enfance heureuse, Catherine Gueguen explique qu’on ne peut jamais préjuger de l’avenir des enfants qui ont vécu des mauvaises expériences éducatives. Certains enfants pourront devenir des adultes bienveillants et maîtres de leur colère : ils auront « résilié ».
La résilience est cette possibilité de mener une vie « normale » et heureuse malgré des expériences traumatisantes. – Catherine Gueguen
Des études ont montré que le plus important facteur de résilience est la rencontre de personnes bienveillantes, soutenantes et aimantes aussi bien dans la vie familiale que sociale (tante, oncle, grand parent, enseignant, éducateur, professeur de chant ou de gym, parent d’ami, personnel médical…)
Bien que l’environnement familial et social (contacts avec les adultes autour de lui) joue un rôle important dans la capacité de résilience, le tempérament de l’enfant et la génétique influencent grandement sa faculté de résilience et son devenir.
Pour aider les enfants à faire preuve de résilience, voici quelques lectures complémentaires :
Résilience : 8 points clés pour favoriser la capacité de rebondir après un choc chez les enfants
Les 4 muscles de la résilience : un exercice de psychologie positive pour les enfants
Accepter un travail sur soi
La lecture de livres (comme Je t’en veux, je t’aime ou Il n’y a pas de parent parfait) ou une psychothérapie peuvent nous aider en tant qu’adultes à comprendre d’où vient la colère qui nous envahit parfois face à nos enfants, quelles sont les causes de l’exaspération que nous ressentons face à certains comportements des enfants, pourquoi nous ne les autorisons pas à exprimer leurs émotions.
Dans Je t’en veux, je t’aime, Isabelle Filliozat écrit :
Les gifles et autres fessées que nos enfants subissent ont davantage pour origine nos blessures d’enfant qu’une quelconque bêtise commise.
Les comportements non bienveillants que nous pouvons adopter avec nos enfants ne sont pas innocents : ils disent nos propres blessures.
Lire et s’informer sur les méfaits de la violence éducative
Thomas d’Ansembourg écrit dans la préface de Pour une éducation heureuse que nous ne pouvons pas faire autrement si nous n’apprenons pas à penser autrement !
Les livres de Catherine Gueguen et d’Alice Miller nous aident à comprendre comment et pourquoi la violence s’est infiltrée dans nos relations avec l’enfant dès sa naissance et en quoi cette violence éducative est nocive.
Les violences éducatives ordinaires ont des conséquences à court et long terme sur :
- le développement du cerveau de l’enfant,
- la reproduction d’un modèle sociétal violent.
Je vous invite à visionner la vidéo dans cet article pour en saisir tous les enjeux : L’éducation bienveillante validée par les neurosciences.
Adopter des outils pour faire autrement
Quand on a réussi à penser autrement, on peut alors passer à l’étape « faire autrement ». Je met à disposition des outils et des pistes sur ce blog, je vous en propose un résumé dans cet article : 12 outils d’éducation bienveillante
Pour aller plus loin, 3 conseils lecture :
C’est pour ton bien : Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant de Alice Miller
« L’opinion publique est loin d’avoir pris conscience que ce qui arrivait à l’enfant dans les premières années de sa vie se répercutait inévitablement sur l’ensemble de la société, et que la psychose, la drogue et la criminalité étaient des expressions codées des expériences de la petite enfance…Ma tâche est de sensibiliser cette opinion aux souffrances de la petite enfance, en m’efforçant d’atteindre chez le lecteur adulte l’enfant qu’il a été. »
— Alice Miller
Pour une enfance heureuse : repenser l’éducation à la lumière des dernières découvertes sur le cerveau de Catherine Gueguen
Il n’y a pas de parent parfait : l’histoire de nos enfants commence par la nôtre de Isabelle Filliozat
http://apprendreaeduquer.fr/les-8-principes-de-la-pedagogie-noire-selon-alice-miller-et-comment-briser-le-cercle-de-la-violence-educative/