Cette virilité qui fait du mal aux hommes
C’est un ado qui traîne chez lui, seul, s’ausculte dans le miroir, engloutit des cochonneries, joue à «Call of Duty»… et se rembrunit. Il garde longtemps sa tête sous l’eau dans un bain, rédige un SMS: «Pote, c’est bizarre, mais je me sens super mal. Je ne sais pas quoi faire. Tout irait mieux si…» qu’il efface aussitôt, avant de chercher sur Google «idées suicidaires». S’affiche alors un message de prévention: «Tu n’es pas seul à ressentir cela. C’est dur d’en parler. Tu peux le faire avec nous.»
Produit par l’association britannique Manchild, ce spot est l’une des nombreuses campagnes enjoignant les hommes à montrer leurs faiblesses, alors qu’en Grande-Bretagne le suicide est la première cause de mortalité masculine avant 34 ans. En Australie, le suicide est également la cause principale de décès des hommes de 15 à 44 ans.
En cause? Les diktats du masculin qui stigmatisent, peur, faiblesse, vulnérabilité, favorisant le déni de la dépression, ou la honte, jusqu’au passage à l’acte. «Avant de parler, pleurer nous permet de survivre», raconte une voix suave sur des images d’hommes en sanglots, dans un autre spot de l’association Movember. «Alors pourquoi dit-on aux garçons de ne pas pleurer, de s’endurcir, d’avoir des couilles… Ras-le-bol! Le silence peut tuer. Montrer sa douleur nécessite du courage et des tripes. Sois un homme, parles-en!»
L’instinct du guerrier
Dans La fabrique des garçons (MSHA), Sylvie Ayral et Yves Raibaud dénonçaient déjà les effets délétères de l’éducation masculine, encore centrée sur l’agressivité et la compétition, avec des conséquences dramatiques: 69% des morts sur la route, 80% des morts par overdose, ou 83% des auteurs de crimes conjugaux sont des hommes, par exemple… «Les hommes sont trois fois plus exposés au burn-out, aux conduites à risques et aux addictions, mais ils ne semblent pas réaliser que beaucoup de leurs problèmes viennent des archétypes de la virilité, ce modèle unique du surhomme qui aboutit à une décompensation», constate la philosophe Olivia Gazalé, qui publie une «enquête philosophique sur la construction et la déconstruction des sexes» à travers un essai minutieux et passionnant, à paraître le 12 octobre: Le mythe de la virilité. Un piège pour les deux sexes (chez Robert Laffont).
https://www.letemps.ch/societe/2017/09/23/cette-virilite-mal-aux-hommes