Balance ton porc, chasse à l’homme ou chasse aux femmes?
Depuis quelques heures, Twitter ne bruisse que de cela: #balancetonporc. Un hashtag qui permet à quelques femmes, des dizaines, des centaines, des milliers, de balancer leur porc, ou leurs porcs. Elles dénoncent des actes plus ou moins directs, plus ou moins limites, plus ou moins agressifs, plus ou moins vulgaires. Des agressions sexuelles. Des humiliations. Dans la rue, au travail, à l’école, à la fac. Partout.
Les témoignages se sont multipliés, le relatif anonymat d’un réseau social permettant visiblement, visiblement, de dire, de parler, de balancer quelques bribes d’une histoire plus moins douloureuse, plus ou moins tue, plus ou moins comprise, plus ou moins assumée. Mais presque toutes parlent à visage découvert, sans pseudonymes, évoquant ce qu’elles ont subi, d’une remarque grivoise à une agression violente, en passant par des propositions douteuses et d’inévitables (?) mains aux fesses.
Et c’est là que mon pénis intervient. Face à ce déferlement, que dire, que penser? A ce moment-là, il est difficile d’être un homme. Un homme dans une chasse aux hommes… non aux porcs. Mais la nuance, à cet instant précis, est faible. On se sent coupable d’être un mec, on a le phallus honteux. Un ami m’interroge, craignant les dérapages, une sorte de lynchage généralisé comme les réseaux sociaux les aiment tant. Et si des noms sortaient? On peut balancer un type qu’on n’aime pas en le faisant passer pour un porc… Et c’est vrai. Ce risque existe. Ca y est, les féministes attaquent, le grand règlement de comptes continue.
Les premiers noms sortent. La presse relaie, on interroge un ministre. Nous voilà, nous les mecs, sommés d’être coupables.
Nous sommes, les mecs, coupables
La réponse, hélas, est: oui. Je suis coupable, nous sommes, les mecs, coupables. Certes, je n’ai pas commis d’agression sexuelle. Mais je sais qu’à maintes reprises je n’ai pas été à la hauteur. En lançant parfois une blague salace, parce que je ne résiste jamais à un bon mot, et qui s’avérait déplacée. Ou bien en me murant dans le silence lâche, ou même le sourire honteux et facile, lorsque fusaient une remarque sexiste, une insulte, une proposition limite. De ces petites lâchetés, qui nous accompagnent tout au long de la vie, je suis comptable moi aussi. Et coupable. Mon silence a favorisé des comportements de porcs. Le vôtre aussi. Le harcèlement, l’agression n’existent que parce qu’ils jouissent (jouissent) d’un silence favorable. Qui ne dit mot consent, se dit celui qui agresse. Et il a hélas raison.
J’ai souvent été muet. Je n’aurais pas dû. J’espère ne plus l’être à l’avenir. Mais je mentirais en disant que j’en suis sûr. Parce que lâcheté, honte, facilité.
J’ai trois filles et je sais qu’elles vivront cela. Je le sais et je me cache. Je me le tais, ne veux pas le voir. Est-ce un comportement de père? Comment leur dire de s’aguerrir pour faire face à un porc? D’avoir la force de ne pas baisser la tête ? Je ne sais pas. Il est tellement plus simple de courber l’échine… Après tout, «ce n’est pas si grave». Je suis leur père, pourtant. Et j’ai un fils. Comme me l’a fait remarquer une amie, en écrivant cet article, je n’avais pas pensé à le mentionner. Comme si mes filles devaient assumer seules. Oubli éloquent. Je lui parlerai.
En quoi serions-nous gênés?
Mais revenons à la question qui nous taraude. Qu’est-ce que c’est que cette chasse à l’homme ? Ce déferlement hystérique anti-porcs, qui est un appel à la délation. Le dérapage est inévitable. Twitter n’a pas vocation à recevoir les plaintes. Il y a les commissariats, la justice pour ça. Facile à dire. Facile à dire. Pardonnez-moi mais, à chaque fois, je repense à ce dessin de Reiser.
La parole se libère. Et, déjà, on voudrait la canaliser. L’envoyer ailleurs. Dans le silence du commissariat, la discrétion d’un prétoire. Est-ce si difficile que cela à entendre? A comprendre? Dans ce hashtag, dans ces centaines de témoignages, il y a peut-être quelques affabulations, quelques exagérations. Mais surtout de la souffrance, de l’humiliation, des larmes. Qui explosent et nous sautent à la gueule.
Est-ce si difficile de leur accorder une place publique? En quoi sommes-nous gênés? Est-ce de n’avoir rien dit? D’avoir tacitement accepté un «cette salope», ou un «c’est une mal baisée», sans oublier les gestes évocateurs, les sous-entendus grivois ou hargneux. Elles parlent à peine, et déjà elles en disent trop. Nous n’avons rien dit pendant des années et 24 heures sur Twitter nous semblent déjà un bavardage insensé.
Objection ! Il y a des mecs bien, il faut en parler, il faut le dire… Ben oui, il y a des mecs bien. Mais est-ce vraiment le moment de le dire? Ta copine pleure à côté de toi et tu crois la consoler en lui disant «Mais regarde-moi: je suis un mec bien?» Evidemment, non. On est au moment crucial où on écoute. On découvre, on mesure, on ouvre les yeux. On peut même se taire et lire en silence. Personne n’a demandé à l’armée des mecs bien de se lever pour clamer leur gentillesse. Et surtout pas de se sentir obligés de dire ce qu’il faut faire ou penser (pour mieux faire taire les femmes?). Juste écouter. Aujourd’hui, c’est suffisant.
Ce gibier qui s’appelle ta mère, ta fille, ta compagne, ta sœur
Et puis, revenons à la chasse à l’homme, au dérapage. Il y a eu des tweets innombrables. Et très peu de noms. Très peu. Une parole qui se libère, mais pas une dénonciation. En aucun cas un règlement de comptes.
Pourtant, quelques noms ont surgi. Ah, enfin! Le voici, le fameux dérapage. On le craignait, on le pressentait… On l’espérait? Allez les femmes, assez déconné. Ça va trop loin. Rentrez chez vous. Si votre affaire est sérieuse, c’est à la justice de s’en occuper. Ah, vous n’avez pas de preuves? Sans doute avez-vous exagéré. Les faits sont prescrits? Mais il fallait porter plainte quand il était temps, voyons!
Alors, oui, il y aura peut-être quelques dérapages. Peut-être que ça va tomber sur un brave type qui n’avait rien demandé. Peut-être.
Mais qu’y a-t-il en face? Des dizaines, des centaines, des milliers de dérapages. Et, parce qu’on risque de faire des éclaboussures, il faudrait faire comme si de rien n’était? Est-ce vraiment ce qui nous fait peur, cette bavure potentielle, l’erreur judiciaire? N’est-ce pas plutôt la parole libérée qu’on refuse d’entendre?
Avant de parler de chasse à l’homme, il faudrait se dire qu’on a sous les yeux une gigantesque chasse aux femmes. Et au moment où ce gibier qui s’appelle ta mère, ta fille, ta compagne, ta sœur, est en train de tenter de sortir du piège, ton job, mec, c’est de l’aider. Pas de te demander si le chasseur pourrait éventuellement être sympa.
merci Jean Marc, de cette mise à nu, oui, peu importe notre appartenance de genre, de sexe, aujourd’hui l’URGENCE est d’être aidants, en empathie, face aux victimes de cette violence, qui comme la peste détruit tout sur son passage. l’URGENCE est de dire, même si cela appuie là ou cela fait mal, sur le plus abject manque à notre dignité humaine. Il y a des hommes, et aussi des femmes maltraitants, que la société ne veut pas voir, des victimes des deux sexes qui portent le fardeau de ces agressions durant toute leur vie, et dont on étouffe le drame sous un couvercle, car c’est trop dur d’affronter cela, et que c’est bien plus facile de se camoufler derrière des aliénations parentales- qui n’existent pas- ou des consentements comme nous l’a montré dernièrement le dernier dossier de l’enfant de 11 ans qui a “consenti” lors de son viol par un homme de 22 ans… on croit rêver ! on a besoin d’entendre ce que vous dites, partout, que cela soit placarder sur les affiches, paroles véhiculée par les médias, les documentaires, etc… on a besoin de cette parole, nous les niés, les survivants, encore debout pour dire l’innommable et dire oui à la vie. La société a besoin de cette parole pour faire reculer la peste, pour que l’on revoit la dignité humaine comme un droit fondamental. Merci merci ! Véronique