Alice Miller aux côtés des enfants maltraités
Alice Miller aux côtés des enfants maltraités
Psychanalyste suisse, Alice Miller lutte depuis vingt-cinq ans contre les châtiments corporels – claques, fessées – infligés aux enfants. Un combat repris par le Conseil de l’Europe, qui se mobilise pour leur interdiction.
Petite femme brune au regard pénétrant, Alice Miller marque un avant et un après dans l’existence de ceux qui la rencontrent ou la lisent. Elle-même brimée par des parents meurtris par leur propre éducation, elle trouve refuge dans la peinture et prend conscience de la charge d’angoisse imprimée dans son psychisme par son enfance. Après quelques années d’intense production créatrice, elle se met à écrire pour partager les fruits de sa réflexion. Dans C’est pour ton bien, l’ouvrage qui fonde en 1984 l’acte de naissance de sa pensée, elle prend pour exemple la trajectoire d’Adolf Hitler : l’origine de sa cruauté serait à situer dans son enfance.
Sa pratique de la psychothérapie l’amènera aussi à explorer sa propre expérience, qu’elle raconte en filigrane dans ses livres, notamment dans Images d’une enfance (Aubier-Montaigne, 1987), autoportrait en mots et en aquarelles, ou Bilder meines Lebens, qui établit un parallèle entre son parcours psychique et artistique. Son profond désaccord avec les thèses freudiennes au sujet du caractère « naturellement sexué et destructeur » de l’enfant la conduira à rompre avec l’Association psychanalytique internationale.
Soutenue par l’Unesco et l’Unicef, sa thèse est aujourd’hui relayée par de nombreux thérapeutes ainsi que par des associations qui militent contre les violences « ordinaires » faites aux enfants ( Ni claques ni fessées, Vaincre la violence…3). Agée de 84 ans, Alice Miller continue à publier livres, articles et réponses à des courriers de lecteurs pour propager son appel au changement des mentalités en matière d’éducation.
Le mal ne peut pas faire du bien
A l’origine de la violence que l’on s’inflige à soi-même ou que l’on fait subir à autrui, il y a toujours le meurtre de l’âme enfantine infligé aux petits par les adultes. C’est ce qu’Alice Miller appelle la « pédagogie noire », qui brise la volonté de l’enfant pour en faire un être docile et obéissant. La pierre angulaire de ce type d’éducation consiste à faire accepter à celui-ci qu’on « lui fait mal pour lui faire du bien ».
Cette idée, développée par Alice Miller dans plusieurs de ses livres, dont Le Drame de l’enfant doué et C’est pour ton bien, met en relief le douloureux conflit intérieur que vit l’enfant : il souffre de la conduite de ses parents, mais l’accepte par amour pour eux.
Le droit de ne plus aimer ses parents
S’appuyant sur les parcours de Dostoïevski, Virginia Woolf ou Arthur Rimbaud, frappés d’épilepsie, de dépression ou de cancer, Alice Miller défend l’idée qu’il existe une relation irréfutable entre le manque de « nourriture affective » et les maux dont notre corps souffre à l’âge adulte. Avec le temps, les émotions réprimées dans l’enfance (par peur des punitions) se transforment en maladies et dépendances diverses.
Pour rompre ce cycle malheureux, la thérapeute préconise de briser les interdits, et en particulier de nous autoriser à ne pas aimer nos parents. Tout comme les victimes doivent cesser de trouver des circonstances atténuantes à leur bourreau, les enfants ont le droit de rompre avec le commandement biblique : « Tu honoreras ton père et ta mère. »