Accueillis avec des sarcasmes
« Vous n’avez qu’à divorcer », « Vous ne savez pas vous défendre ? », « Apprenez à tenir votre femme ». Il y a cinquante ans, les femmes qui osaient demander de l’aide étaient accueillies avec les mêmes sarcasmes ; il a fallu du temps et le combat des féministes pour qu’on les écoute enfin. Ces mêmes féministes qui, si on en croit Olivier, membre du bureau de la très virulente association SOS Papa, noyautent toute tentative des hommes violentés d’être entendus. « De plus en plus de flics et de juges sont des femmes, et on voit bien qu’elles ne veulent pas nous croire. Le discours néoféministe ne réclame pas l’égalité des femmes et des hommes, mais carrément leur supériorité sur nous, jusqu’à valoriser la violence contre les hommes, dans une sorte d’hyperréaction au machisme de nos grands-pères. » Pas que de nos grands-pères, Olivier !
Naturellement, juges et policiers démentent : « Lorsque les plaintes arrivent jusqu’à nous, nous les traitons avec la plus stricte partialité, se défend le juge Jean-Pierre Ménabé, qui a présidé pendant plusieurs années le tribunal de Bobigny. Mais la plupart des victimes, quelles qu’elles soient, ont le sentiment de ne pas être entendues. » « Évidemment que nous les croyons, renchérit Christophe Crépin, policier. C’est tellement difficile, pour un homme, de dire une chose pareille que j’en ai rarement vu mentir… Mais pour tout dire, j’en ai aussi rarement vu venir déposer : la plupart du temps, ils se taisent. » Le juge comme le policier s’accordent sur le fait que ce à quoi ils se fient, ce sont les preuves. Et que les preuves, dans ce domaine, sont difficiles à réunir : les empoignades marquent moins la peau des hommes que celle des femmes et, lors d’une altercation, les femmes se débrouillent souvent pour avoir une trace elles aussi, de manière à prétendre qu’elles n’ont fait que se défendre. « En voulant se protéger d’un coup, un de nos adhérents a dévié le bras de sa femme. Le bras a heurté sa bouche, et elle a eu la lèvre ouverte. Elle lui a dit : “Merci, tu viens de me rendre un grand service”, et s’est précipitée au commissariat pour déposer une main courante », raconte Olivier. Qui égraine la litanie des « malentendus » rapportés par les hommes à SOS Papa : les gendarmes, appelés à l’aide par le mari, qui l’immobilisent lui au lieu de maîtriser sa femme ; qui l’obligent à quitter le domicile conjugal alors qu’il a signalé qu’elle est dangereuse pour les enfants ; qui le gardent à vue alors qu’il vient déposer plainte ; les parents et les amis qui sentent la violence mais pensent que c’est l’homme qui cogne…
« Quand j’ai découvert que mon ami d’enfance vivait un enfer avec sa nouvelle compagne, je suis tombée des nues », raconte Sophie : comment imaginer qu’Arnaud, du haut de son mètre quatre-vingt-quinze, se laisse martyriser par une frêle petite blonde ? Pourtant, elle lui a cassé une dent et, surtout, l’a « complètement démoli psychiquement… ». Arnaud, amoureux et très attaché à l’enfant de la jeune femme, s’est laissé faire longtemps avant de se sortir de ses griffes.
Battus, déclassés, dévirilisés
« Même si c’est désagréable à admettre, dans l’inconscient collectif, un homme battu par une femme perd immédiatement sa position d’homme, confirme le psychiatre et psychanalyste Serge Hefez2. Il est déclassé, dévirilisé, il perd sa place “naturelle” de dominant. Et nous en sommes gênés, au point de le trouver ridicule au lieu d’éprouver de l’empathie pour lui, comme chaque fois qu’un mâle se montre “féminin”, soumis, pénétré plus que pénétrant. » On en serait donc encore là ? Dans les lois, sûrement pas, mais dans leur application, dans les faits et dans les inconscients, c’est certain. Ce que nous disent ces hommes le plus souvent amoureux, sidérés de voir leur amour se retourner contre eux et terriblement inquiets pour leurs enfants, c’est que la violence conjugale, et plus largement familiale, n’est pas (qu’)une question de domination physique, mais aussi, surtout, une forme d’emprise psychique dont il est difficile de s’extraire, tous sexes confondus.