Ma dernière séance
comment : 0
Il y a un an je terminais ma dernière séance thérapeutique d’Escrime dans le cadre de SVS ( Stop aux violences sexuelles). Le dernier thème évoqué ce jour là le 8 juin 2023 était libre, ah oui, j’ai dansé ce jour là beaucoup moins lourde, beaucoup moins de débris de mon être tant déchiré à porter.
Je me suis assise après à côté de la salle d’escrime d’Oullins avec une de mes Sœurs d’arme auprès d’un Arbre . Je me rappelle cette sensation de m’être sentie entière, pleine de moi-même avec une force nouvelle, puissante et mon corps si apaisé.
Nous venions de vivre 10 mois, je dis on car nous étions 11 femmes où un jeudi par mois, nous partions le matin le corps en cri, la tête en souffrance, la nuit passée à mordre nos peurs, à la salle d’Escrime. La porte franchie, on le savait toutes, on allait au vestiaire se changer et se vêtir de nos tenues de combat de guerrière pour aller à chaque fois s’approcher de nous-mêmes encore plus près en se faisant peu à peu moins de mal, en griffant moins les murs de nos tripes, en vomissant moins notre être de toutes les salissures qui avaient été coulés en lui, en ouvrant nos mains, en se laissant regarder par l’autre, toucher par l’autre.
Il y a eu tant à vivre durant ces 10 mois.
Raphaël m’emmenait à chaque fois en voiture. Durant tout le chemin jusqu’à la salle, je tremblais, vomissais souvent car je savais que j’allais aller me chercher encore plus loin et tuer toute l’énergie meurtrière qu’on avait mise en moi durant des années, le crime parfait qu’on avait perpétré à maintes reprises sur mon corps en naissance et dans les chambres de l’indicible .
J’ai entendu et pris dans le ventre durant les séances tant de cris rouges de mes sœurs d’Arme, on allait à coups de sabre fendre l’immonde, le mal, la noirceur, la mort.
Combien de fois je suis rentrée, me perdant, ne sachant plus qui j’étais, où j’allais, cherchant des rues étroites pour rentrer chez moi, envie de boire pour fuir cette réalité de tout ce qui avait détruit ou jamais appris et qu’on abordait durant nos ateliers.
On vit des douleurs si profondes, la peau, la chair, les os, l’être est mort tout en entier.
Je me rappelle après la séance sur la construction , partir jusqu’au bus et voir sur le sol une vis et un écrou, je les ai pris symboliquement délicatement et les ai mis dans ma poche, c’était peut être le début de ma grande réparation, je me disais que j’allais pouvoir composer ce corps qui avait été dispersé en tant de fragments. Je les ai gardés soigneusement dans un petit sac dans le tiroir dédié à cette année là.
Puis quand ce fut le thème contrôle qui nous a été communiqué, ce jour là le jeudi 2 février 2023, on a été plusieurs à faire nos « sorties d’énergie » comme on dit dans l’atelier, faire une sortie c’est terrible, c’est horrible, ça fait très mal, cela veut dire qu’on est prête, le corps suffoque, on est dans des spasmes d’immense colère, la tête est saturée et notre maître d’Arme le sait, elle va mettre son masque noir et on est en face de ce masque noir qui représente pour chacune un père, une mère, un homme inconnu, un oncle, un frère, un dit ami, un grand-père, un ami de la famille, une personne souvent si irréprochable aux yeux de tous et de la société, et on va avec notre sabre, le corps, les bras, les mains,les doigts, les jambes, les pieds, la tête, le ventre, notre sexe souillé, mutilé, amputé, nos cris, nos hurlements, nos larmes à l’agonie déverser, sabrer, écraser et tuer en mille morceaux celui ou celle qui nous a enterré vivant.
J’ai perdu tout contrôle ce matin là, mes poings ont cogné le coussin du kiné à en fracturer mon 5 ème métacarpien , les mains en sang, une douleur qui sort des entrailles, le visage en larmes tout entier, les yeux, la bouche, le nez, arrivant à peine à me tenir debout, je me suis relevée j’ai revêtu les gants de boxeur et j’ai continué d’asséner des coups si violents que je me demandais mais comment je pouvais avoir encore autant de force pour taper encore et encore et encore, comment mes mains pouvaient dire autant.
Allez Anne, tu es prête j’entendis derrière moi, j’étais dans un sanglot à rompre mon cœur, je me disais mais je ne peux pas, je suis épuisée, je veux arrêter, je vais aller me rhabiller et me reposer, Allez Anne, tu veux que ça recommence, tu veux qu’il revienne, j’entendis avec plus de fermeté, bien sûr que non je criais moi aussi avec une telle rage, une immense tristesse au cœur, une telle colère à vouloir tout fendre et là je pris mon sabre comme une grande guerrière prête à mon combat, à le livrer de tout mon corps, de tout mon cœur et de toute mon âme. Je brisa en des milliards de petits morceaux tout ce qu’on avait déposé en moi avec tant de cruauté, de violence, d’inhumanité.
Puis je réussis à donner le coup fatal, il était enfin totalement Mort pour moi et moi à cet instant je suis devenue mon Soleil, mon « en VIE », mon argile pour me refaçonner dans la lumière.
Anne …Soleil