Comprendre l’énigme de la violence féminine
Les pulsions de férocité et d’agressivité chez les femmes commencent seulement à être décryptées.
La scène se passe dans un réfectoire de cantine comme il y en a dans des lycées ou des entreprises. Un chariot roulant arrive, poussé par deux jeunes filles. Soudain, bousculade. L’une et l’autre tirent chacune de leur côté. Les insultent fusent, les coups se préparent. Un adulte intervient alors, sépare les filles, l’une a le temps de lâcher un «sale pute» accompagné d’un regard noir. La journaliste Hélène Mathieu, qui raconte cette scène dans son livre Rebelles et révoltées, mineures derrière les grilles(Ed. ateliers HD), s’étonne de son extrême fugacité: «Le conflit a éclaté très vite, s’est apaisé aussi vite sans que je comprenne ce qui s’était passé.» Une éducatrice lui explique en deux mots: «Ça dégénère tout de suite ici. Les conflits partent souvent d’une bricole, pour nous insignifiante.»
«Ici», cela veut dire dans ce CEF, centre éducatif fermé réservé aux filles violentes, des mineures aux vies chaotiques auprès desquelles Hélène Mathieu s’est rendue pendant trois mois pour animer un atelier d’écriture. «Le jour de mon arrivée, je n’en menais pas large », confie la journaliste. «L’idée de me retrouver avec dix filles délinquantes violentes m’intimidait.» En réalité, de fureur directement dirigée contre elle, elle n’a pas eu à endurer. «Simplement, il y avait un climat d’agressivité diffuse pouvant à tout moment se transformer en pure violence », relate-t-elle. «Comme si c’était le seul mode de communication que ces filles connaissaient.»
Manque d’estime de soi
«Filles» et «violence» sont deux mots qu’on a encore du mal à associer, tant cette éventualité semble taboue: les images de la douceur féminine, havre de sécurité affective, ont la vie longue.
Pourtant, les derniers événements comme l’assaut de Saint-Denis ont montré que des femmes jeunes pouvaient aller très loin dans la férocité. Les chiffres de la délinquance ne font que confirmer cette éventualité: la proportion d’adolescentes violentes ne fait qu’augmenter: lors de ses dernières analyses, en 2009, l’ONDRP (Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales) avait montré qu’en quatre ans – de 2004 à 2009 – la courbe des mineures mises en cause pour atteinte à l’intégrité physique avait augmenté de presque 84 %, alors que celle pour les mineurs de sexe masculin «n’était que» de + 40 %. Un autre chiffre apparu subrepticement dans un ouvrage sur le harcèlement moral * révélait que, dans le secteur public, un tiers des femmes harcelées au travail se plaignent de l’être par… des femmes.
Ainsi donc, il n’est plus possible de se contenter des images de femmes incapables d’agressivité. C’est sans doute là, ainsi que l’affirment les experts de cette psychologie féminine, le noyau dur d’une violence différente de celle, plus testotéronée, des hommes: le manque d’estime de soi issu d’une expérience d’abus ou de maltraitance. Hélène Mathieu l’a observé de près: «Ces jeunes filles ont une image fracturée d’elles-mêmes et j’ai donc rapidement été confrontée à leur hypersensibilité, leur susceptibilité… Si j’avais le malheur de me tromper dans leur prénom, elles se sentaient humiliées.» Un exercice de l’atelier invite à faire la liste de ses défauts et de ses qualités: les participantes sont incapables de trouver quoique ce soit de positif en elles.
Mise en sécurité
On comprend alors la place que la violence occupe dans cette configuration psychique: «La délinquance, c’est le domaine dans lequel elles se découvrent des compétences», note Hélène Mathieu. «Les actes délictueux relèvent leur niveau d’adrénaline et de plaisir par ailleurs si bas. C’est pour ça qu’elles ont du mal à arrêter… Sinon, elles retournent la violence contre elles-mêmes.»
Selon la psychiatre Liliane Daligand, et dans les cas de violences à autrui avérées, «de simples séjours de rupture ne peuvent suffire pour guérir celles qui les ont perpétrées. Il faut à la fois leur offrir une mise en sécurité pour qu’elles mûrissent, et accompagner ce sas d’une psychothérapie».
Parmi les méthodes spécifiquement dédiées à ce travail intensif, toutes celles qui s’appuient sur la créativité, la culture, le jeu sont particulièrement bienvenues. Car si l’on dit des femmes qu’elles ont plus de facilité à «faire parler leurs émotions», on observe que les délinquantes ont surtout du mal à exprimer leur intime blessé, ou à sortir d’une parole répétitive. En ce sens, revisiter des poèmes ou des simples listes de «j’aime, j’aime pas» comme il leur est proposé en atelier d’écriture leur ouvre des espaces neufs.
http://sante.lefigaro.fr/actualite/2016/01/29/24547-comprendre-lenigme-violence-feminine